Aux portes du Marais poitevin
En arpentant les marais qui entourent la baie de l’Aiguillon et l’embouchure de la Sèvre Niortaise, le promeneur a peine à repérer, au milieu de ce paysage très ouvert, presque maritime, une série d’ouvrages hydrauliques - portes ou écluses. Pourtant ceux-ci forment une des clés de voûte du système de gestion des eaux dans le Marais poitevin.
Carnet du patrimoine
Publié le 29 mars 2018
# Charente-Maritime
# Opération d'inventaire : Vallée de la Sèvre Niortaise dans le Marais poitevin
# Canal
# Du Moyen Age à l'époque contemporaine
Vaste étendue de près de 100 000 hectares, le Marais poitevin évacue ses eaux par la baie de l’Aiguillon, dernier témoin de l’ancien golfe marin des Pictons. C’est ici que convergent les principaux canaux de dessèchement, formant une vaste étoile tout autour de l’anse du Brault notamment, sur les communes de Charron et Marans en Charente-Maritime, Sainte-Radégonde-des-Noyers et Puyravault en Vendée (d’autres cours d’eau de jettent de la même façon dans la baie de l’Aiguillon à Champagné-les-Marais et Triaize).
Une technique hydraulique très ancienne
Chaque canal possède à son embouchure une porte ou écluse, ouvrage en maçonnerie et en bois dont l’existence est attestée dès le Moyen Âge : en 1217 déjà, une telle porte (ou « portereau » - porterellum en latin) est mentionnée dans l’acte d’autorisation de creusement du canal des Cinq-Abbés, accordée par Porteclie, seigneur de Mauzé et de Marans à cinq abbayes de la région.
Hautement stratégiques, les portes font partie des ouvrages mis à mal, voire anéantis durant les guerres de Cent ans puis de Religion : en 1599, un état des marais autour de la baie de l’Aiguillon indique que, par exemple, les matériaux de la porte ou portereau du canal du Bot Neuf ont été pris et emportés par les troupes protestantes. Leur reconstruction est alors une priorité.
Le principe de ces portes, donc bien plus ancien que les travaux initiés par les Hollandais à l’époque moderne, est repris au 17e siècle, lorsque sont relancés les grands dessèchements de marais. Chaque société de propriétaires alors constituée pour mener les opérations, prend soin de faire construire une porte à l’embouchure de son canal principal. Le 8 avril 1656 par exemple, un marché est passé entre le seigneur de Marans et Étienne Bonnet, maître maçon et tailleur de pierre, pour la construction de la porte du canal du Marais Sauvage. Même démarche, le 26 août 1668, entre la Société des marais desséchés de Taugon et Jean Audebrand, charpentier à Marans, pour la porte du canal de la Banche. Ce type de contrat est renouvelé régulièrement depuis trois siècles et demi, et aujourd’hui encore, à chaque fois qu’il est nécessaire de renouveler ou de reconstruire la porte (comme ce fut le cas après la tempête Xynthia, en 2010, notamment). Certains entrepreneurs, comme la maison Durand, de Marans, dans la seconde moitié du 20e siècle, sont devenus les spécialistes de ce type de travaux.
Évacuer l’eau, empêcher son retour
Le fonctionnement de ces ouvrages est bien connu d’une part grâce à différents documents d’archives, d’autre part par l’observation directe de ces mêmes ouvrages ,dont le principe est resté le même depuis le Moyen Âge. Les documents les plus anciens et aussi les plus précis sont les plans que l’ingénieur du roi Claude Masse a établis de ces ouvrages, à peine un demi-siècle après leur construction.
Chacune des treize portes situées autour de l’anse du Brault (du Petit Rocher, à Puyravault, jusqu’au canal de la Brie, à Charron) est structurée de la même façon. À cheval sur le canal, l’ouvrage en pierre est établi sur un radier en bois, lui-même supporté par des pilotis fichés dans la vase. La porte remplit alors deux objectifs. Le premier est d’évacuer l’eau des marais desséchés vers la mer. L’eau acheminée par le canal en amont passe sous un passage voûté, ou pertuis, et s’évacue vers la mer, à marée basse, en empruntant le chenal qui serpente en aval de la porte. Des murs en pierre de taille, ou bajoyers, formant un V de part et d’autre du canal, renforcent les abords de la porte côté amont comme côté aval. Ils sont prolongés par des pieux en bois qui retiennent les bords du canal, surtout côté aval où les assauts de la marée haute sont à craindre.
Le second objectif de la porte est justement de se prémunir contre le retour de l’eau de mer, eau d’inondation qui refluerait dans le canal et envahirait alors tous les marais desséchés situés en amont. Les portes du Marais poitevin assurent ainsi son étanchéité, au même titre que les digues. Pour ce faire, la porte est équipée, côté aval, de deux lourds vantaux en bois, avec structure métallique, qui se ferment sous la poussée de l’eau à marée haute, autant qu’ils s’ouvrent à marée basse pour laisser l’eau d’amont s’écouler. En se refermant, les deux vantaux se bloquent l’un contre l’autre et buttent contre un heurtoir en formant un V pointé vers l’aval : ce système de porte busquée renforce la résistance de l’ouvrage face à la marée montante et aux assauts des tempêtes (s’ils étaient alignés, les vantaux seraient plus vulnérables à la poussée de l’eau).
Enfin, l’étanchéité du tout est renforcée par une vanne, elle-aussi en bois et métal, positionnée verticalement en arrière du pertuis. À l’origine, la vanne était actionnée à l’aide d’une vis, système remplacé au 19e siècle par une (ou deux) crémaillère en métal manœuvrée à l’aide d’un cric. Par sa vis ou sa crémaillère, la vanne est suspendue à un portique constitué d’une poutre en métal (en bois à l’origine) et de deux piliers en pierre ou en béton. En plus de renforcer l’étanchéité de la porte, la vanne verticale permet d’affiner la gestion du niveau d’eau dans le canal en amont : en période de sécheresse estivale, par exemple, la vanne abaissée retient l’eau dans le canal même si les vantaux de la porte sont ouverts, à marée basse. Souvent, une petite vanne ou « vantelle », aménagée dans la vanne elle-même et actionnée selon le même principe, permet une gestion encore plus fine et ciblée du niveau d’eau.
À proximité de la porte, se trouve encore généralement une habitation qui servait de logement de fonction au garde chargé de la surveillance et de la manœuvre de l’ouvrage.
Auteur : Yannis Suire, mars 2018 Photographies : sauf mention contraire, Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel. Y. Suire, 2017