Du parc Lescure au stade Chaban-Delmas : la patrimonialisation du sport
Réalisation emblématique du mandat du maire Adrien Marquet, le stade Chaban-Delmas, anciennement Lescure, a été inscrit au titre des monuments historiques par arrêté préfectoral du 24 octobre 2022. Cette mesure patrimoniale vient récompenser les efforts des historiens, riverains et amateurs qui se sont battus pendant de nombreuses années pour faire reconnaître l’importance historique et architecturale de cet ensemble sportif des années 1930.
Carnet du patrimoine
Publié le 20 janvier 2023
# Gironde, Bordeaux
# Opération d'inventaire : Hors opération
# Stade
# 20e siècle
Fondée au lendemain de la Première guerre mondiale, une société par actions achète les 15 hectares restant de l’immense domaine de Lescure. Huit hectares sont lotis pour y bâtir des maisons, les sept autres hectares, impropres à la construction à cause de la présence du ruisseau du Peugue, sont convertis en un parc des sports. L’architecte Cyprien Alfred-Duprat y aménage des tennis, un terrain de jeu entouré d’une piste cyclable et des tribunes. Déficitaire, la société est dissoute en 1930 et ses actionnaires proposent à la ville de racheter les terrains et les équipements.
Le maire de Bordeaux, Adrien Marquet, confie en 1933 à l’architecte Raoul Jourde (1889-1959) le projet d’un nouveau complexe. Une première phase (stade de football et piste de cyclisme), doit être prête en juillet 1935 pour accueillir l’étape du Tour de France. En janvier 1934, le projet est examiné par le comité des architectes conseils de la ville sous l’autorité de Jacques d’Welles (1883-1970), architecte municipal. L’aspect d’ensemble est jugé déplorable et Jourde est invité à revoir le plan général en le simplifiant. Après modification le projet est présenté au maire en octobre 1934.
La société France et Colonies dirigée par Sante Garibaldi (petit-fils de Giuseppe héros de l’indépendance italienne) est choisie pour l’exécution. La même société construira aussi la piscine Judaïque sur les plans de l’architecte Louis Madeline. L’ingénieur Egidio Dabbeni (1873-1964), spécialiste du béton armé, revoit l’épaisseur et les courbures des voûtes des tribunes. Son intervention aboutit à un parti assez différent en ce qui concerne les élévations extérieures par l’introduction de parties pleines interrompant les files d’arcades qui ouvrent sur la galerie desservant le haut des tribunes. Pour assurer la liaison entre les grandes tribunes et les gradins des virages, Dabbeni introduit aussi des postes d’observation en forme de proue d’hydravion.
Déjà en conflit avec D’Welles à propos du chantier du siège de la Régie municipale du gaz et de l’électricité, Jourde est poussé à la démission. Désormais seul à la tête des travaux, D’Welles modifie les accès des tribunes au profit d’escaliers à doubles volées et dessine une nouvelle entrée en forme d’arc monumental de 18 mètres d’ouverture dont l’intrados est creusé par des caissons à la manière des voûtes antiques. Cet arc triomphal évoque celui conçu par l’architecte italien Del Debbio pour l’entrée de l’Exposition des réalisations fascistes à Rome (1932).
La cour d’honneur est ornée de quatre vases de 5 mètres de haut du céramiste René Buthaud et le quartier des athlètes accueille deux bronzes des sculpteurs Alfred Janniot et Marcel Damboise. D’Welles conçoit aussi la deuxième partie du parc des sports comprenant un stade d’athlétisme, un quartier des athlètes avec vestiaires et gymnases, un fronton de pelote basque bordé de gradins avec une couverture semblable à celle du stade. L’ensemble prend un aspect « à l’antique » rompant avec la modernité radicale voulue par Jourde.
Le stade Lescure est enfin officiellement inauguré le 12 juin 1938 à l’occasion du match de quart de finale de la coupe du monde de football opposant le Brésil à la Tchécoslovaquie. Il est immédiatement reconnu comme une réalisation exceptionnelle. À la même période, peu de villes françaises possèdent « un grand stade ». Seuls le Parc des Princes à Paris, le stade de Gerland, le stade vélodrome de Marseille et le Stadium de Toulouse lui sont comparables par leur grandeur et leur monumentalité. Le stade de Bordeaux est surtout le seul en France à posséder l’intégralité de ses tribunes et gradins abrités dont les formes ont peut-être inspiré l’ingénieur espagnol Eduardo Torroja pour les tribunes de l’hippodrome de la Zarzuela à Madrid (vers 1940).
Le stade Lescure est présenté dans le journal L’Illustration du 13 juin 1938 qui ne mentionne pas Raoul Jourde comme architecte. Son nom n’apparaît pas non plus sur la plaque commémorative de l’inauguration. Il aura protesté vainement pour conserver une part de paternité. Cette injustice est heureusement réparée par l’historiographie. Selon l’historien Robert Coustet, « le paradoxe de ce vaste ensemble architectural, né de la collaboration orageuse de deux architectes de tempérament opposé et d’un ingénieur étranger est de s’imposer par sa remarquable unité de style ».
Le stade va subir après la seconde guerre mondiale plusieurs modifications d’importances. En 1986, l’architecte Guy Dupuis augmente la capacité à 40 000 places par le remplacement de la piste du vélodrome par des gradins supplémentaires. En prévision de la coupe du monde de 1998, l’équipe formée des architectes Michel Moga, Pascal Teisseire et Hugues Touton est chargée de certaines modifications : transformations de toutes les places debout en places assises. Elle édifie en bordure de la rue Albert-Thomas un centre de presse qui sera ensuite aménagé en salle de sports [1]. En 2001, le stade est rebaptisé du nom de Chaban-Delmas, maire de Bordeaux de 1947 à 1995.
Le stade a reçu le label Architecture contemporaine remarquable en 2007. La protection dont il fait aujourd’hui l’objet « consacre sa valeur et son intérêt au regard de l’histoire et de l’architecture [2] ».
- Franck Delorme, docteur en histoire de l’art, attaché de conservation à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
Orientations bibliographiques
Robert Coustet, « Le stade municipal et le parc des sports de Bordeaux, recherche de la paternité », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, tome XXIX, nouvelle série, 1982, pp. 149-165.
Claude Laroche, « Un biathlon patrimonial », Le Festin, n°25, février 1998.
Notes
[1] La protection au titre des monuments historiques n’inclut pas cette adjonction.
[2] Communiqué de presse de la Préfète de la région Nouvelle-Aquitaine du 12 décembre 2022.