Pau : Dernière demeure
De l’Antiquité à la veille de la Révolution, l’emplacement des cimetières était d’abord déterminé en fonction de considérations religieuses. Alors que la société antique tient ses morts à bonne distance de la cité, le Moyen Age invente le cimetière. À Pau, depuis l’époque médiévale, les premiers cimetières avaient logiquement trouvé leur place à l’ombre des églises Saint-Martin et Notre-Dame-des-Morts (place Clemenceau). Il faut attendre la fin du 17e siècle, pour voir apparaître les premières considérations hygiénistes et 1776 pour qu’une ordonnance royale impose la fondation de lieux d’inhumation à bonne distance des zones d’habitation.
Carnet du patrimoine
Publié le 6 décembre 2023
# Pyrénées-Atlantiques, Pau
# Opération d'inventaire : Etude urbaine de la ville de Pau
# Temps modernes, Epoque contemporaine
# Architecture funéraire, Cimetière, Mausolée
« J’aime aussi les cimetières, parce que ce sont des villes monstrueuses, prodigieusement habitées.[1] »
En cette fin de 18e siècle, les jurats palois répondent à l’injonction royale par le projet de création d’un nouvel espace funéraire à la périphérie des zones habitées. Mais la ville ne possède ni les ressources, ni les terrains pour lancer une opération qui s’enlise avec la période révolutionnaire. L’affaire trouve sa solution en 1795, par la confiscation des terres « du Grand Carré de la Plante » au profit de la municipalité.
Le 23 prairial an XII (12 juin 1804), un décret impérial redéfinit l’organisation des sépultures et des enterrements. La voie est alors ouverte à la création de grands cimetières urbains. La translation du cimetière de Pau vers un nouveau site coïncide ainsi avec une mutation des modes d’ensevelissement. Durant tout le 19e siècle, la réglementation des modalités d'inhumation se poursuit. Sont ainsi instaurées les sépultures individuelles et la mise en place de concessions à long terme qui donnent naissance à un nouvel art funéraire. Autorisées à créer des structures pérennes, les riches familles font désormais appel à des architectes, à des artisans et à des artistes de renom. Les sculpteurs, marbriers, bronziers ou orfèvres, fortement sollicités, proposent de véritables catalogues de monuments.
À Pau, à partir du milieu du 19e siècle, l’espace dévolu aux inhumations doit être agrandi et apparaissent de vastes étendues rythmées de palmiers, d’arbres exotiques et de fontaines. Rivalisant d’inventivité, de nouveaux monuments funéraires sont érigés. La cité à « l’air pur » connaît alors une forte expansion portée par un afflux d’hivernants cosmopolites, majoritairement anglo-saxons et fortunés qui parfois finissent malheureusement leurs jours en Béarn. Disposant de moyens confortables, ils permettent aux architectes et aux sculpteurs locaux, les mêmes qui ont déjà construit leurs villas ou hôtels, de laisser libre cours à leur inspiration. C’est par exemple le cas de la chapelle Guillemin-Montebello qui est réalisée par l'architecte Henri Geisse et le sculpteur Louis Joseph Alexandre. Soulignons que le cimetière est le seul endroit de Pau où, pour le moment, a été trouvée la signature d’un maître d’œuvre anglais : le sculpteur londonien James Nesfield Forsyth est l’auteur des monuments des familles Jones et Potter.
Ces nombreux commanditaires optent pour des caveaux maçonnés et enterrés, leurs présences étant matérialisées par une stèle, un piédestal orné d'une croix ou d'une urne, une pierre tombale ou une chapelle monumentale. Ces chapelles sont traitées, le plus souvent, dans un style néo-gothique, plus rarement néo-classique et laissent parfois la place à un goût pour l'exotisme, avec pyramides ou obélisques, au décor plus sobre s’agissant de tombes protestantes. Les premières sont édifiées au cimetière de Pau entre 1853 et 1865, la plupart, les plus remarquables, datent cependant de la fin du 19e siècle. Des vitraux apportent parfois un caractère précieux à certains de ces monuments, comme en témoignent les œuvres du maître-verrier Mauméjean dans la chapelle Murret-Labarthe. Les propriétaires de concessions, notabilités françaises ou étrangères, rivalisent alors d’éclectisme, d’exubérance voire de surenchère décorative.
Depuis 1804, le cimetière est un espace public laïc, délimité et protégé par une clôture. La réglementation qui régit son fonctionnement a d’abord pour enjeu la santé publique. Le travail réalisé sur l’entrée derrière la caserne Bernadotte est, autant que le savoir-faire funéraire, le fruit de signatures d’architectes locaux. Doyère signe en 1888 le dessin d’une magnifique entrée monumentale jamais réalisée, Lalheugue fait agrandir en 1895 la conciergerie, accolée à la marbrerie préexistante, abri qui constitue le logement de fonction du gardien : il y travaille en rez-de-chaussée et habite à l’étage [2].
Le champ des morts ne serait-il que le miroir posthume de la société paloise ? Avec le « 19e siècle, le séjour souterrain du défunt n’est plus conçu, définitivement, comme un transit. Sous terre, le mort reste, il y loge, il est locataire. La symbolique funéraire doit exalter ce nouveau contrat d’habitation » [3].
Christophe RAMBERT, documentaliste au service du patrimoine et de l'Inventaire, Région Nouvelle-Aquitaine
Les photographies en noir et blanc qui illustrent ce carnet ont été réalisées en 1977 par les photographes de l'Inventaire, afin de conserver la mémoire de cet état avant une campagne de réaménagement du cimetière.
Notes
[1] MAUPASSANT Guy de. Les Tombales. Nouvelle publiée dans La Maison Tellier, Paris, Flammarion, 1980.
[2] AM Pau. 1 M 3/8
[3] URBAIN Jean-Didier. L’archipel des morts : cimetières et mémoire en Occident. Paris, Plon, 1989.