Un pont sur l’estuaire de la Gironde : trop long, trop cher, trop tard ?
Carnet du patrimoine
publié le 05 juin 2020
# Charente-Maritime, Gironde, Blaye, Le Verdon-sur-Mer, Royan
# Opération d'inventaire : Communes riveraines de l'estuaire de la Gironde
# Epoque contemporaine, 20e siècle, 20e siècle
# Pont, Franchissement
Si les Gabayes au rude parler et les Médocains gasconnnants se sont souvent ignorés c’est bien, qu’en dépit d’échanges commerciaux attestés (barriques, pierres) la traversée de l’estuaire a longtemps relevé d’une expédition à risques.
À Bordeaux, il faut attendre 1822 pour voir un premier pont de pierre franchir la Garonne. Près de deux siècles plus tard, plus en aval, sur l’estuaire de la Gironde, des bacs motorisés assurent seuls un service public entre Lamarque et Blaye d’une part, Le Verdon et Royan de l’autre. On navigue sur l’estuaire mais on ne le franchit pas !
Ce franchissement a pourtant inspiré des projets et des études. Ainsi, dans le Journal de Royan du 8 mars 1942, l’ingénieur André Basdevant suggère un tunnel routier sous la Gironde, entre Royan et Le Verdon-sur-Mer. Mais l’occupant allemand préfère alors faire porter ses efforts sur un « mur de l’Atlantique » plutôt qu’un tunnel sous l’estuaire.
Durant les Trente Glorieuses, la priorité est donnée à la modernisation des infrastructures routières, notamment l’autoroute A10 de Paris à Bordeaux. Il faut attendre 1977 pour que des études plus complètes soient lancées. Deux solutions sont alors régulièrement envisagées : un pont à l’embouchure de l’estuaire au niveau de l’axe Royan-Le Verdon, ou un pont en amont ou en aval de Blaye.
Une prouesse technique qui altère le paysage
En 1982, un rapport réalisé pour les chambres de commerce et d’industrie de Bordeaux et de Rochefort conclut à la faisabilité technique et financière d’un projet de franchissement à l’embouchure de l’estuaire de la Gironde. Situé légèrement en amont de l’axe Royan-Le Verdon, l’ouvrage est alors prévu pour mesurer 10 km. Il doit franchir le chenal de navigation à une hauteur de 55 m et être relié aux berges par 2 viaducs. Les deux pylônes supportant la partie haubanée de la travée centrale reposant sur des îles artificielles capables d’encaisser le choc d’un navire de 80 000 tonnes.
La singularité du franchissement de la Gironde à Blaye réside dans les chenaux de navigation qui imposent un gabarit de 55 mètres en hauteur. Leur largeur de 200 mètres conduit à concevoir des ouvrages haubanés sur le modèle du pont de Saint-Nazaire sur la Loire.
Deux tracés sont alors proposés : un pont aval d’une longueur de 4 843 m, comprenant un pont haubané de 764 m au-dessus du chenal de grande navigation et s’appuyant sur l’extrémité sud de l’île Nouvelle, ou un pont amont de 4 504 m nécessitant deux travées haubanées enjambant les chenaux de grande navigation et du port de Blaye.
Dans les deux cas, les auteurs de l’étude n’ignorent pas les effets environnementaux et paysagers de ces constructions1. En matière écologique, le tracé amont « traverse un milieu écologique intéressant (prairies humides, espèces protégées) dont l’équilibre précaire sera détruit ». Du point de vue du paysage, on constate que : « Pour un observateur situé sur la citadelle, l’écran horizontal créé par un ouvrage aval respectant le gabarit de navigation […] se situerait très précisément, à la hauteur du champ de vision de l’horizon […] entraînant une altération irréversible ». Si tout semble alors possible pour les techniciens, pour les militants de l’environnement le projet soulève dès l’origine des inquiétudes, voire des oppositions.
Un autre tracé est avancé, en 1987 : un pont à haubans de 10,5 km depuis Meschers-sur-Gironde (Charente-Maritime) et la RN 215, à mi-parcours entre Saint-Vivien-de-Médoc et Soulac. Cet ouvrage à péage en restera au stade de la suggestion.
Contournement et « plat de nouilles »
En 2003, une commission du débat public lance une consultation sur la possibilité d’un contournement autoroutier, par l’est ou par l’ouest, de la métropole bordelaise dont la rocade connaît une congestion quasi quotidienne. Le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) met prématurément fin à cette consultation et les itinéraires proposés par la Direction régionale de l’équipement vont rapidement mettre le feu aux poudres. La carte soumise par le préfet, en mai 2006, fait apparaître tellement de fuseaux qu’elle est aussitôt qualifiée de « plat de nouilles » par ses détracteurs. Les oppositions politiques, locales ou environnementales se multiplient. Les viticulteurs des deux rives rejoignent le mouvement de contestation. En effet, parmi les zones viticoles potentiellement touchées par le projet, on trouve les prestigieux Margaux à très forte valeur économique, ainsi qu’un vaste ensemble de vignobles regroupant les appellations Blaye, côtes-de-Bordeaux et côtes-de-Bourg. Le vignoble est devenu un obstacle sur le tracé et en 2007, le Grenelle de l’environnement achève d’enterrer le projet.
Régulièrement depuis les années 1970, l’idée d’un franchissement de l’estuaire revient dans l’actualité : en 2012, le maire de Blaye suggérait un référendum pour trancher le débat tandis que plus récemment, un député médocain affirmait ou réaffirmait le caractère incontournable, inévitable et nécessaire de ce pont. Si certains élus semblent convaincus, une partie de la population reste à persuader.
Christophe Rambert, documentaliste au service régional du patrimoine et de l’inventaire, site de Bordeaux.
Notes
Ce billet est à retrouver dans son intégralité et sous une autre forme, dans la revue Arcades, N°26, mars 2020.
[1] Rapport général de la Direction départementale de l’équipement de la Gironde, juin 1983.