Georges Hennequin (1893-1969), premier architecte des usines Dassault
Carnet du patrimoine
Publié le 30 novembre 2021
# Gironde, Bordeaux, Mérignac
# Opération d'inventaire : Patrimoine du secteur Aéronautique-Spatial-Défense
# Patrimoine industriel, usines
# 20e siècle
Un architecte au service d’une expansion industrielle
Marcel Bloch (Dassault après-guerre) rencontre Georges Hennequin au lycée Condorcet à Paris. Alors que l’un poursuit ses études dans le domaine aéronautique, l’autre s’oriente vers l’École des Beaux-Arts de Paris pour devenir architecte. Georges Hennequin travaille jusqu’en 1935 avec son père puis ouvre sa propre agence en se spécialisant dans l’architecture d’établissements scientifiques et industriels [1]. Marcel Bloch l’engage alors pour agrandir une de ses premières usines à Courbevoie et pour construire une toute nouvelle implantation à Déols, près de Châteauroux. Suite à la nationalisation du secteur aéronautique en 1937, Marcel Bloch devient administrateur de la Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Ouest (SNCASO) et demande à son ancien camarade d’étendre certaines des implantations qui en dépendent. Georges Hennequin édifie ainsi à la fin des années 1930 un nouveau bâtiment administratif sur l’ancien site de l’usine Dyle et Bacalan à Bordeaux (aujourd’hui occupé par le Secrétariat général pour l’administration du Ministère de l’Intérieur), crée un atelier de montage final sur l’aérodrome de Mérignac (actuellement bâtiment de STELIA Aerospace) et des bureaux à Rochefort (aujourd’hui quai de l’Hermione, c’est le bâtiment « Cinq Océans » du Conservatoire du Littoral). Mais Marcel Bloch ne se contente pas d’étoffer les sites nationalisés, il fait aussi construire pour sa propre société une usine à Saint-Cloud en 1938 par Hennequin. Après-guerre, Marcel et Georges reprennent leur collaboration afin d’édifier une usine d’assemblage final des appareils de la Société des avions Marcel Dassault (aujourd’hui Dassault Aviation). De 1949 à 1966, l’architecte construit ainsi à Mérignac l’ensemble des bureaux et des halles industrielles requises pour des projets qui se succèdent, du Flamant au premier Falcon, en passant par le Mystère IV et le Mirage IV.
L’architecture d’Hennequin ou comment le Mouvement moderne rencontre le fonctionnalisme industriel
Georges Hennequin reprend les idées formalisées en Europe dès 1914 dans « l’usine modèle » de Walter Gropius (1883-1969) et d’Adolf Meyer (1881-1929) à l’exposition du Deutscher Werkbund [2] à Cologne. La puissance de la firme ne s’incarne plus dans la façade richement décorée des « palais de l’industrie » du XIXe siècle mais dans une façade commerciale, abritant les bureaux, prolongée éventuellement à une extrémité par une rotonde vitrée afin d’y loger une cage d’escalier ou des salles de réunion. Les ateliers sous sheds, sont eux, dissimulés par un mur écran derrière ces bureaux. Tout en usant de cette disposition non symétrique, Hennequin développe des façades peu ornementées et dotées d’ouvertures en bande, à la manière des exemples développés par Henry-Russel Hitchcock (1903-1987) et Philip Johnson (1906-2005) dans leur ouvrage fondateur de 1932 définissant le « style international » [3], marquant une nouvelle étape dans l’élaboration du « Mouvement moderne » né du renouvellement de l’architecture à l’issue de la Première Guerre mondiale. Enfin, l’architecte ajoute quelques hublots, fidèle à une « architecture paquebot » alors particulièrement prisée pour les aérodromes.
De plus, Georges Hennequin s’inscrit également dans une tendance plus générale développée à la faveur du réarmement à la fin des années 1930, qui vise à créer des bâtiments spécifiques pour les usines aéronautiques. L’architecte applique alors les préceptes en vigueur : un sol très résistant, des murs constitués d’une ossature en béton armé et une charpente métallique, dotée de longues poutres, portant les sheds [4].
Ces grands principes arrêtés à la fin des années 1930 constituent le leitmotiv de l’architecture aéronautique de Georges Hennequin dédiée aux usines Dassault jusqu’aux années 1960 - des principes efficaces, puisque les bâtiments de Mérignac sont toujours utilisés pour la production d’avions !
Laetitia Maison-Soulard
Notes
[1] Avec son père, également architecte, Georges Hennequin conçoit l’Institut d’Optique de Paris en 1927. Par la suite, on lui doit notamment l’usine de matériel aéronautique et militaire Bronzavia en 1936 à Courbevoie, ou encore le centre d’essais de moteurs et d’hélices de Saclay pour le ministère de l’Air entre 1946 et 1950.
[2] Le Deutscher Werkbund est une association allemande regroupant artistes et architectes cherchant à mettre leur art au service de l’industrie. Walter Gropius est, par la suite, à l’origine du courant du Bauhaus.
[3] Henry Russel HITCHCOCK, Philip JOHNSON. The International Style : Architecture since 1922. New-York, Norton, 1932. Les exemples retenus dans l’ouvrage, issus de différents pays, mettent à l’honneur une architecte alors d’avant-garde, montrant des volumes à toit-terrasse, dépouillés de toute ornementation, conçus avec des matériaux produits en série tels que le béton pour les façades, l’acier en ossature mais aussi le verre, traité en murs-rideaux.
[4] Voir notamment l’article de F. S. SNOW. « Design and Construction of Aircraft Factories », The Structural Engineer, 1937, June, p. 234-256.
Retrouvez toutes les réalisations de Georges Hennequin et l’aventure industrielle Dassault en Nouvelle-Aquitaine dans : Laetitia Maison-Soulard et Vincent Frigant. L’industrie aérospatiale en Nouvelle-Aquitaine : Un siècle d’histoire et de patrimoine, Bordeaux, Le Festin, 2020.