Quand la peste sévissait à Bourg
Les actes recensés dans la série E supplément des Archives départementales représentent une part infime des riches archives conservées pour la commune de Bourg, et notamment les registres de la Jurade de la ville. À la lecture de l’inventaire (1), plusieurs mentions de « contagion » font écho, toute proportion gardée, à la situation sanitaire actuelle.
Carnet du patrimoine
Publié le 1er octobre 2021
# Gironde, Bourg, Plassac
# Opération d'inventaire : Les communes riveraines de l’estuaire de la Gironde
# Temps modernes
De la peste noire qui fit des ravages entre 1347 et 1352 (2), on ne trouve pas mention. La première occurrence est plus tardive, de juillet 1585, époque à laquelle la Jurade est contrainte d’interrompre ses assemblées dans le contexte troublé des guerres de religion : elle se réunit toutefois devant l’urgence à prendre des mesures contre la peste qui s’est déclarée à Gauriac et dans la banlieue de Bourg (3). Le témoignage de Michel de Montaigne, restant à l’écart de Bordeaux frappée durement par l’épidémie, est à la même époque bien connu.
Au mois d’août, un « apothicaire » est consulté par la Jurade de Bourg pour fournir les « drogues » nécessaires afin de lutter contre la contagion. À l’automne, les vendanges se déroulent sous la menace de l’épidémie : il est interdit d’employer des vendangeurs sans avoir l’autorisation des jurats et sans s’être assuré qu’ils étaient « exempts de contagion ». Au début de l’année suivante, la Jurade donne ordre de faire des collectes en ville pour secourir les pestiférés. Des épisodes de peste sont à nouveau attestés en juillet 1586, à Pons notamment : il est alors interdit de laisser entrer en ville les gens venant de Pons, Montendre et autres endroits de la Saintonge. La ville n’est finalement pas épargnée : le 19 octobre, on tente encore d’empêcher l’entrée de la ville aux habitants de La Libarde et de Pugnac, et l’on se résout à annuler la foire de Saint-Seurin ; mais les 27-28 octobre, des délibérations portent sur « la contagion survenue en ville ». Le 5 novembre, les habitants soupçonnés de contagion sont contraints d’aller dans des cabanes de la banlieue de la ville. Quant aux quatre gabariers malades, ils sont enfermés avec leurs familles « et cloués dans leur maison pour le tems qu’on advisera et qu’il sera requis pour obvier la fréquentation des autres habitans ». En fin d’année, la Jurade décide la levée de 50 livres pour nourrir les pauvres et les pestiférés. Le 24 janvier 1587, un petit chai est également loué pour les loger, afin qu’ils ne contaminent pas l’hôpital de la ville.
D’autres épisodes de peste sont mentionnés à Bordeaux en 1605, puis en 1631 (4). Le 2 août 1631, des chirurgiens sont requis pour examiner le corps d’une femme décédée à Bourg, « à laquelle y avoict esté recogneu quelques cherbons pestilentiel à ung bras ». La contagion étant constatée, l’inhumation est ordonnée et ceux qui avaient approché la défunte sont envoyés dans des huttes hors de la ville, les voisins sont enfermés dans leurs maisons. Le diagnostic des chirurgiens ayant été mis en doute, les jurats firent déterrer le corps, examiné à nouveau par Georges de Bernardy et Jean Dubois-Tournon, docteurs en médecine, qui confirmèrent le premier diagnostic.
A l’été 1645, Bordeaux et le Médoc sont à nouveau touchés : le 22 août, il est défendu aux habitants d’aller en Médoc et « autres endroits suspects de contagion ». La célèbre foire de « Trocque Sel » qui se déroule chaque année à Bourg du 1er au 8 septembre est également menacée : les habitants réunis en assemblée le 24 août 1645 choisissent toutefois de la maintenir, tout en interdisant la ville aux « gens venant des pays infestés ».
Deux ans plus tard, en 1647, la foire est annulée. Les cadavres sont enterrés dans le cimetière de Saint-Esprit, hors de la ville, mais également dans les jardins des maisons (5). Le sieur de Vinseguerre, qualifié de « désinfecteur » ou de « parfumeur », est chargé de désinfecter les maisons des défunts.
Plus tard, en 1664, il est rappelé les mesures à adopter lorsqu’un navire potentiellement contaminé arrive dans le port : « Lorsqu’un batiment vient du païs où il y a contagion, on les oblige à faire faire quarantène puis le jour de leur despart, dans un lieu escarté de devant le port où ilz arrivent, qu’ensuite on faict parfumer le corps du vaissseau et les gens qui sont dedans et geter toutes les paillaces ou autres chozes qui peuvent retenir le mal, et que sy en cas les mattelots quitent le bort, qu’on se contentera de faire parfumer le corps dud. vaiseau » (6).
En 1713, les habitants de la ville à nouveau touchée par la peste se rendent en procession à la chapelle Notre-Dame-De-Montuzet, afin de se placer sous la protection de la Vierge (7). En 1758, une nouvelle procession y est « faitte par la ville pour remercié Dieu de la grâce qu’il luy a fait et aux païs circonvoisins de la préserver de la contagion dont plusieurs endroits furent attaqués dans les siècles passés » (8).
- Claire Steimer, conservateur au service du patrimoine et de l'Inventaire de la Région Nouvelle-Aquitaine.
Orientations bibliographiques
BARRY Stéphane, FAURÉ Marie. Préservez-nous du mal ! : les Bordelais face à la peste : XIVe-XVIIIe siècles. Éditions Mémoring, 2021.
BARRY Stéphane. « Bordeaux face à la peste aux XVIe et XVIIe siècles ». Histoire des sciences médicales, tome XXXIV, n°3, 2000.
COSTE Laurent. « Bordeaux et la peste dans la première moitié du XVIIe siècle ». Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 110, N°224, 1998, p. 457-480.
Notes
(1) Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790: Gironde. Série E supplément, tome deuxième, par MM. Gaston Ducaunnès-Duval et Jean-Auguste Brutails, Bordeaux.
(2) Voir BARRY Stéphane, GUALDE Nobert. « La Peste noire dans l’Occident chrétien et musulman 1346/1347 – 1352/1353 ». CASTEX Dominique, CARTRON Isabelle (dir.). Epidémies et crises de mortalité du passé, ss. dir.. Pessac : Ausonius, 2007, p. 193-227.
(3) E suppl. 2347
(4) E suppl. 2348 et 2349
(5) E suppl. 2350
(6) Au 17e siècle, un système de quarantaine est établi en Gironde : les bateaux sont interceptés et mis au mouillage à Patiras, avant l’établissement au début du 20e siècle d’un lazaret à Trompeloup.
(7) E suppl. 2356
(8) E suppl. 2364