Le portrait de Samuel Périvier à Angles-sur-l'Anglin : une œuvre inédite d'un général-sculpteur, devenu député, Eugène Riu
Dans l’ancien cimetière Sainte-Croix d’Angles-sur-l’Anglin (Vienne), la sépulture de Samuel Périvier (1828-1902) offre au regard le portrait sculpté du défunt, qui a achevé sa carrière comme premier président de la Cour d'appel de Paris. Ce portrait est signé d’un sculpteur qui a étonnamment fait toute sa carrière dans l’armée et l’a achevée comme député de Blois, Eugène Riu, dit le général Riu (1832-1895).
Carnet du patrimoine
Publié le 16 juillet 2022
# Vienne, Angles-sur-l'Anglin
# Opération d'inventaire ; statuaire historique
# Médaillon
# 4e quart du 19e siècle
Samuel Périvier : un magistrat aux convictions républicaines
Né le 20 septembre 1828 à Angles-sur-l'Anglin, Samuel Périvier a commencé ses études au petit séminaire de Montmorillon, puis les a poursuivies à la faculté de Droit de Poitiers. Avocat inscrit au barreau de la capitale poitevine de 1853 à 1870, il entre dans la magistrature au lendemain de la proclamation de la IIIe République par Léon Gambetta, le 4 septembre 1870. Nommé premier avocat général auprès de la Cour de Poitiers en octobre 1870, il devient procureur de la République à Besançon en février 1877. S'opposant à la dérive monarchiste du président de la République Patrice de Mac Mahon lors de la crise institutionnelle du 16 mai 1877, il donne sa démission en refusant d'être rétrogradé comme simple conseiller à la Cour de Caen. Néanmoins, à la suite de la chute du ministère de Broglie en novembre 1877, il revient aux affaires et est nommé procureur général à Lyon en février 1879. Il n'y reste que six mois, car il revient à son ancien poste à Besançon. En 1880, il entre à la Cour de cassation de Paris, puis devient procureur général à la Cour d'appel avant d'en devenir, le 12 avril 1883, le premier président.
Personnage proche des présidents de la République Jules Grévy, Sadi Carnot et Félix Faure, il a eu à présider, entre autres affaires, les audiences liées au scandale du canal de Panama en 1893 et celles du procès d'Emile Zola en 1898, au cours duquel l’écrivain est condamné pour diffamation après la publication de son article « J’accuse » en soutien à Alfred Dreyfus.
Nommé commandeur de la Légion d’Honneur en 1885, Samuel Périvier prend sa retraite le 20 septembre 1898 sur le grade ultime de premier président de la Cour d'appel de Paris, comme l'indique le médaillon placé sur sa tombe. Celui-ci a été réalisé en 1892, dix ans avant la mort de Périvier survenue le 25 novembre 1902, par un artiste républicain affirmé, Eugène Riu, dit le général Riu.
Un sculpteur pas comme les autres : Eugène Riu
Voici comment ce général-sculpteur, devenu député à la fin de sa vie, est décrit dans Le Monde Illustré du 2 février 1895, à la suite de son décès :
Stanislas Lami précise dans son Dictionnaire des sculpteurs du XIXe siècle que Riu « fut élève de Falguière, de Ponscarme et de Hiolle. Il débuta au Salon de 1869, alors qu'il était officier en garnison au 29e de ligne au fort de Nogent, et, après être resté éloigné des expositions pendant dix ans à compter de 1870, continua ensuite d’envoyer de nombreux médaillons au Salon jusqu'en 1894. Entre temps, il occupa le poste de commandant militaire au palais Bourbon, puis devint général, prit sa retraite en 1893 et fut élu, la même année, député de Blois ». Fort de ses convictions républicaines, Riu siégea comme radical-socialiste.
On le constate, Eugène Riu a eu plusieurs vies en une seule. On peut ainsi les retracer :
La formation artistique d’Eugène Riu
Né le 15 juillet 1832 à Montpellier (Hérault), d’un père ébéniste, Pierre Riu, et d’une mère sage-femme, Jeanne Françoise Tardieu, Eugène Marie Daniel Joseph Clélia Riu s’est montré très tôt doué pour le dessin. De 1838 à 1846 il suit les cours de dessin à l’école supérieure de la ville, puis entre à l’école des beaux-arts de Montpellier comme élève sculpteur. De mars 1850 à avril 1851, il travaille à Marseille, dans le quartier de la Capelette, dans l’atelier du sculpteur Eugène Michelis, et suit parallèlement les cours d’Antoine Bontoux à l’école de sculpture de la ville.
Pourtant, plutôt que de faire des arts son métier, rêvant d’aventures, il décide de s’engager dans l’armée en septembre 1851, au 10ème régiment d’infanterie de ligne. Téméraire et quelque peu casse-cou, il se fait remarquer en sauvant à plusieurs reprises des gens d’incendies et en remportant un pari un peu fou en faisant le poirier au sommet de la flèche de la cathédrale de Strasbourg !
En 1859, alors qu’il est en garnison à Rome, il en profite pour compléter sa formation artistique en accompagnant le sculpteur Falguière et les pensionnaires de la Villa Médicis sur les sites antiques italiens, comme l’indique Le Monde Illustré.
Une carrière militaire trépidante
En 1862, son régiment est envoyé en Italie pour protéger les États pontificaux, et son dévouement à cette cause lui vaut d’être nommé deux ans plus tard chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. En août 1870, lors de la guerre avec la Prusse, Riu, alors capitaine au 29ème de ligne, est blessé au tibia à Borny, mais il conserve malgré tout son commandement pendant les batailles de Gravelotte et de Noisseville. En novembre, on lui confie le commandement des francs-tireurs de la Meuse, et il est de nouveau blessé d’un coup de sabre à la tête. Nommé chef de bataillon pour « services exceptionnels et importants » et mis hors cadre à la disposition du ministère de la guerre, Riu entre alors au service des renseignements et fait de nombreuses incursions dans les lignes allemandes.
Comme l’écrivent Jean Ponsignon, arrière-petit-fils d’Eugène Riu, et Henry Camus, président des Amis du Châtillonnais, en Côte-d’Or, « grâce à la finesse de son esprit, à son énergie et à son habileté, [Riu] se sortira des situations les plus graves. Le 24 novembre [1870], à Bonneval dans l’Eure-et-Loir, arrêté par les Allemands, il échappe au peloton d’exécution en prouvant qu’il n’est pas militaire mais peintre sur vitraux. Le 29, à Ferrières, ce sont des paysans français qui le prennent pour un espion allemand, le rouent de coups et l’emprisonnent. Il sera délivré par les allemands. Le 7 décembre, à Sully-sur-Loire, il échappera encore de peu à un peloton d’exécution…français. »
La guerre finie, il change plusieurs fois de garnisons, mais sa carrière stagne en raison de ses convictions républicaines et de ses liens avec la franc-maçonnerie. Il reçoit le 1er février 1879 le commandement militaire de la Chambre des députés et est nommé quelques mois plus tard colonel. En 1881, le président du Conseil Jules Ferry le nomme membre de la commission de décoration des édifices scolaires puis inspecteur de l’enseignement de la gymnastique et des exercices militaires dans les écoles normales d’instituteurs. Mais manquant sans doute d’action et attiré par les contrées lointaines, Riu demande à être relevé de ses fonctions pour être envoyé en Tunisie. Il y reste deux ans, où il est nommé général de brigade en 1883.
Un général-sculpteur devenu député
De retour en France, il reçoit le commandement de la 20ème brigade à Blois, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1893. Pour autant, cette retraite n’est pas pour lui l’occasion de rester oisif : il profite de sa notoriété pour se présenter aux élections législatives de 1893. Le 3 juillet de cette année-là, il se fait élire député radical-socialiste du Loir-et-Cher, à Blois. Dans son programme de campagne, il demande, entre autres, la révision de la Constitution de 1875, la suppression du Sénat, la séparation des Eglises et de l’État, l’interdiction du cumul des mandats électifs, et les nationalisations des chemins de fer et de la Banque de France.
Mais probablement fatigué par une existence très active, Eugène Riu meurt subitement le 24 janvier 1895 à Paris. Incinéré, ses cendres sont transportées dans le cimetière de Chamesson, commune de la Côte-d’Or, où il s’est marié en 1866 à Anne Léonie Beau (1845-1908).
La production artistique d’Eugène Riu
Même si son engagement militaire lui a pris beaucoup de temps et d’énergie, Eugène Riu a eu une production artistique assez conséquente. Celle-ci relève presque exclusivement du domaine privé et Riu n’a semble-t-il reçu aucune commande publique. Si l’on s’en tient aux catalogues du Salon des artistes français, il a réalisé environ soixante-dix œuvres, principalement des médaillons coulés dans le bronze. Aujourd’hui, il est difficile de retrouver ses œuvres, car très peu sont conservées dans les collections publiques, hormis aux musées de Sens (médaillon du sénateur Jules Guichard) ou de Blois (quatre médaillons non retrouvés à ce jour figurant Henri Chapu, Léon Gambetta, Jean-Baptiste Carpeaux et un personnage dénommé Appert), mais aussi à l’Institut de France (plusieurs médailles qui représentent Gambetta).
La production de Riu reste donc à découvrir, à l’image de ce médaillon de Samuel Périvier à Angles-sur-l’Anglin. Le sculpteur a figuré ce dernier de manière réaliste, vu de son profil gauche, chauve et pourvu des favoris à la mode sous le Second Empire, et habillé semble-t-il d’une veste, d’une redingote et d’une cravate nouée autour du cou.
Eugène Riu a fait ses débuts au Salon en 1869. Cette année-là, il expose le buste en bronze du général de Potier ; en 1870, il présente deux œuvres : un buste en terre cuite figurant un avocat, et un médaillon en bronze représentant M. D. père. Après une longue interruption de dix ans durant laquelle il poursuit ses activités militaires, il reprend ses productions à partir de 1880. Cette année-là, il expose le médaillon en bronze de M. Lepère, ministre de l’Intérieur et des cultes ; il réalise aussi un autre médaillon qui ne figure pas au Salon, le portrait de Jules Guichard, sénateur de l’Yonne ; en 1881, il présente sept portraits en bronze dont l’identité n’est pas connue, ainsi qu’un autre figurant Mme L. ; en 1882, il réalise les portraits du président de la République Jules Grévy et de Léon Gambetta, ainsi que deux autres médaillons en bronze représentant le président de la Chambre des députés et Monsieur G. ; en 1883, il envoie cinq médaillons au nombre desquels figure Victor Hugo et son propre auto-portrait. Après une pause de deux ans, il reprend ses envois au Salon : en 1886, il expose neuf médaillons, sans autre précision ; en 1887, il envoie cette fois huit portraits, médaillons en bronze ou en marbre ; en 1888, ce sont plusieurs médaillons en bronze qu’il expose, mais sans indiquer l’identité des personnes portraiturées ; en 1889, il présente le portrait d’Henri Privat et celui de Melle Jane de Riu ; en 1890, il réalise trois médaillons en bronze, en 1891, trois autres portraits, en 1892, sept autres portraits, au nombre desquels figure vraisemblablement celui de Samuel Périvier, en 1893, encore sept autres portraits et enfin, en 1894, cinq médaillons en bronze, dont un qui figure le Portrait de Mme la baronne de G. et probablement aussi celui de son petit-fils Maurice.
Républicain dans l’âme, Eugène Riu a également sculpté un portrait de Marianne, à côté duquel il a inscrit symboliquement « 14 juillet ».
Auteur : Thierry Allard
Bibliographie
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Ponsignon, Jean. Eugène Riu, un militaire hors-normes, éditions Feuillage, 2020.
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Leblanc, Morgane ; Billaudeau, Vincent. Un buste de Samuel Périvier sculpté par Aimé Octobre, Le Picton, n° 269, avril-mai-juin 2022.