Une vallée industrielle et commerçante : l'exemple du Lardin-Saint-Lazare
Si l’opération d’inventaire sur la vallée de la Vézère s’attache à recenser et étudier le patrimoine des périodes anciennes, elle s’intéresse aussi à l’histoire récente, tout particulièrement au patrimoine industriel qui marque encore considérablement le paysage de la vallée. Son étude apporte un éclairage qui contraste fortement avec l’image pittoresque que l’on peut en avoir.
Carnet du patrimoine
Publié le 13 mai 2015
# Dordogne, Vallée de la Vézère
# Opération d'inventaire : vallée de la Vézère
# Patrimoine industriel
# du 18ème au 20ème siècle
La mine de charbon du Lardin-Saint-Lazare
La présence de charbon de terre est connue dans ce secteur de la vallée depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le filon de houille, qui se prolonge jusqu'en Corrèze, à Cublac, avait connu un début d'exploitation dans le cadre d'une concession de vingt ans accordée le 22 mars 1788 au marquis Chapt de Rastignac. L'exploitation était autorisée sur un rayon de 1500 toises (environ 3 km) autour du puits de mine. Pour cause de cessation de travaux, la concession fut annulée par décret du 23 vendémiaire an 13 (15 octobre 1804)[1].
Après quelques aléas juridiques, la compagnie de Royère et Brard rachète la concession en 1819. Cyprien Brard réaménage alors trois anciens puits situés au Lardin et dénommés Aglaé, Sainte-Thérèse et Sainte-Barbe. L'extraction commence en mai 1821 avec une trentaine d'ouvriers. Suite à la découverte d'une couche de houille de meilleure qualité, Brard demande une extension de la concession qui est accordée par ordonnance royale le 19 novembre 1823. Il creuse alors le puits Jeanne sur le nouveau site de La Nuelle.
Brard tente d'anticiper les effets de la révolution industrielle et espère beaucoup de la mise en navigation de la Vézère par le biais d'écluses à sas. Afin de pouvoir écouler son charbon, notamment en aval vers les Eyzies, il compte sur le développement de la forge Festugière où est prévue l'installation de fours à puddler (fonctionnant à la houille). Mais le projet d'"aménagement de la Vézère avorte dès 1828 – il ne sera repris qu'une dizaine d'années plus tard.
Aussi la mine connaît-elle de grandes difficultés, non pas liées à un épuisement de ses ressources ou à son exploitation, mais essentiellement à l'absence d'infrastructures de transport lui offrant des débouchés. D'une quarantaine d'ouvriers au début des années 1820, la mine n'en compte plus que deux vers 1830. Cyprien Brard, exilé un temps dans le Var à la tête des houillères de Fréjus, propose la liquidation de l'entreprise à son retour en 1833. Elle ne sera rachetée qu'en 1840 par la société Richard et Marcet, qui exploitait les mines corréziennes de Cublac.
Malgré l'ouverture de la ligne de chemin de fer Périgueux-Brive en 1860, la mine périclite, même si des activités de briqueterie et de production de chaux y perdurent. En effet, 1860 est également l'année du traité franco-anglais de libre-échange, portant un coup fatal aux forges françaises de moindre envergure. C'est le cas de celle des Eyzies, qui brûlait l'essentiel de la production de la mine et qui ferme en 1862.
La mine du Lardin est pratiquement inexploitée à la veille de la Première Guerre mondiale. Le site est racheté par la société Progil – dont on parlera dans un prochain billet –, puis la concession est définitivement liquidée en 1936.
Il ne reste aucun vestige des aménagements liés à cette mine, puisque l'actuelle papeterie de Condat s'est développée sur les huit hectares où se situaient les bâtiments d'exploitation du puits Jeanne. Il ne reste rien non plus de l'autre site d'extraction, celui du Lardin, à proximité duquel va être construite une usine de verre noir : la verrerie de Brardville.
La verrerie...
Dès 1788, en même temps que la concession minière, le sieur Chapt de Rastignac obtient du Conseil d'Etat le droit d'établir une verrerie au Lardin. Selon toute vraisemblance, son objectif était d'alimenter les fours de cette verrerie avec la houille extraite des mines alors concédées, hypothèse d'autant plus vraisemblable que des sablières susceptibles de fournir du sable vitrifiable de bonne qualité avoisinaient le site. La Révolution fit avorter ce premier projet.
Plus tard, on l'a vu, ne parvenant pas à écouler son charbon de façon rentable, Cyprien Brard décide de l'utiliser sur place. Il fonde dès 1825 une nouvelle société : la Compagnie des mines de plomb de Chabrignac (en Corrèze) et de la verrerie du Lardin, et engage l'année suivante la construction de la verrerie entre la route royale et la Vézère, à proximité immédiate des puits de mine.
La verrerie ne fonctionnera véritablement qu'à partir de 1833, après le retour de Brard. Dans un premier temps, elle aura obligation d'utiliser dans ses fours uniquement de la houille produite au Lardin. Alors qu'il rencontre de nombreux problèmes financiers, Cyprien Brard se détourne de l'industrie pour se consacrer à l'étude départementale commandée par le préfet Romieu. Peu après sa mort en 1838, la cité ouvrière prend le nom de Brardville en hommage à l'industriel.
La verrerie connait le même sort que la mine, c'est-à-dire une série de rachats, notamment en 1851 par la société Renard et Compagnie, à la tête de laquelle vont s'illustrer les frères Delas.
L'arrivée du rail en 1860 permet à l'activité de se maintenir jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans ses meilleures années, autour de 1890, la verrerie va employer jusqu'à 120 personnes et produire près de 30 000 bouteilles par jour. Une partie de la production est acheminée vers Bordeaux où la société possédait un entrepôt sur le quai des Chartrons.
Après le conflit mondial, la verrerie périclite et est achetée par la société Progil, puis ferme définitivement en 1930.
...et ce qu'il en reste
Les principaux bâtiments s'organisaient symétriquement autour d'une cour rectangulaire, l'entrée se faisant au centre, au sud, depuis la route royale (l'actuelle D 6089) : deux corps de logis d'ouvriers à l'ouest et à l'est - antérieures à la construction de la verrerie car visibles sur le cadastre de 1825 - que domine l'atelier de fabrication, au nord, vaste bâtiment surélevé et bordé par une terrasse de circulation accessible par deux escaliers droits monumentaux parallèles situés de chaque côté.
De plan rectangulaire, orienté est-ouest et couvert en tuile mécanique, l'atelier de fabrication se compose encore à l'intérieur de deux halles à bas-côtés, divisées chacune en trois travées. Celles-ci sont séparées par des murs de refend transversaux percés d'arcs en plein-cintre clavés en pierre de taille. Les arcs des travées de la halle orientale ont été murés lors d'aménagements ultérieurs, tandis qu'une partie des planchers de l'étage et le lanterneau (visible sur les cartes postales anciennes) ont disparu.
Les halles reposent sur une série de six caves contigües couvertes d'une voûte en berceau plein-cintre. Elles abritaient les fours à houille, qui étaient reliés entre eux par un système de conduits d'évacuation des fumées vers les deux grandes cheminées du site. Seule subsiste la cheminée située au nord-ouest de la halle.
Si les logements conservent aujourd'hui leur affectation, le bâtiment industriel, faute d'entretien, tombe en ruine.
Repères bibliographiques
DELMAS, André. L'exploitation des mines de charbon de Cublac et du Lardin. Tulle : Orfeuil, 1982.
VITOUX, Frédéric. La Vézère coule depuis longtemps en Europe. Histoire des papeteries de Condat. Paris : Quai Bourbon, 1989.
[1] Une grande partie de la documentation relative à la mine du Lardin est rassemblée sous la cote 70 S 24 aux archives départementales de la Dordogne.