Estuaire de la Gironde, rive saintongeaise : phares, balises et amers

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La navigation sur la Gironde n'est pas aisée, en particulier dans son embouchure, entravée par des bancs de sable dont la forme et l'emplacement ne cessent de changer. Dès le XVIe siècle, les cartes marines en font état, invitant les marins à la plus grande prudence, tout en indiquant les rades où s'abriter en période de tempête. Pour se frayer un passage, les navigateurs ont surtout besoin de repères, visuels et/ou lumineux, positionnés sur les côtes et à prendre en alignement pour déterminer les passes à emprunter. Au fil des siècles, les riverains et les autorités n'ont eu de cesse de développer de tels repères, profitant des progrès technologiques, tout en devant souvent composer avec les nécessités du milieu.

Des repères pris dans le paysage

Avant d'envisager la construction de repères visuels ou lumineux, les navigateurs prennent l'habitude de se guider à l'aide d'éléments naturels ou construits par l'homme, situés sur les rives de l'estuaire et s'inscrivant dans leurs paysages. Parmi ces repères, des arbres et des bois sont souvent mentionnés sur les cartes de navigation ou par les observateurs des 17e et 18e siècle. A Saint-Seurin-d'Uzet, sur la hauteur dominant le port, là où se trouvait le bourg jusqu'au 17e siècle, un petit bois sert ainsi de repère jusqu'à ce que l'hiver de 1709 ne le réduise à néant. A Saint-Palais-sur-Mer, un autre bois de chênes verts, appartenant au seigneur du Logis de Saint-Palais, est acheté en 1773 par l'Etat de manière à assurer sa pérennité. Il reçoit dès lors le nom de Bois du Roi, un nom qui demeure dans la toponymie actuelle, alors que le bois a disparu depuis le 19e siècle. Le bois était délimité par des bornes en pierre dont il reste un exemplaire, au 3 corniche des Pierrières.

Parmi les bâtiments qui ponctuent le paysage des rives estuariennes et qui sont bien visibles depuis l'estuaire, les moulins à vent sont eux aussi utilisés par les marins. Ceux qui bordent les falaises de Meschers sont par exemple indiqués dès 1545 sur la carte de la Gironde par Jean Alphonse. Tel est aussi le cas pour les moulins de Saint-Georges-de-Didonne, indiqués comme tel sur la carte de la Gironde par Teulère en 1776-1798. Le rôle pour la navigation de ces moulins, comme pour les repères paysagers, tombe en désuétude au 19e siècle lorsque l'Etat multiplie phares et autres balises le long de la côte.

Amers, balises et clochers d'églises

Dès le 17e siècle, les autorités royales n'ont de cesse de s'approprier et d'améliorer les repères présents le long de l'estuaire, à commencer par les clochers d'églises. Ceux de Saint-Palais-sur-Mer et de Royan font particulièrement l'objet de cette attention car ils sont très utiles pour la traversée de l'embouchure de la Gironde. Placés en alignement avec d'autres repères, ils permettent de déterminer les passes à emprunter pour éviter les bancs de sable. Dès le 17e siècle, le vieux clocher octogonal de l'église de Saint-Palais est surélevé de plusieurs mètres à l'aide d'une tour qui vient coiffer le clocher roman. L'ensemble, fragilisé par sa hauteur, les vents et la foudre, s'effondre à plusieurs reprises. En 1768, sa reconstruction est comprise dans un vaste programme d'amélioration de la navigation sur la Gironde entrepris par l'Etat. En 1771, une flèche en charpente haute de 16 mètres vient prolonger la tour en pierre, le tout atteignant une hauteur de 58 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette flèche est détruite par la foudre en 1804. Seule la tour en pierre est reconstruite. Peinte en noir et blanc de manière à être encore plus visible, elle sert d'amer jusqu'au début du 20e siècle puis est déclassée en 1914. Quelques décennies plus tôt, en 1852, les enjeux de la navigation sont aussi pris en compte pour la construction du nouveau clocher de Mortagne-sur-Gironde : situé dans le bourg, en retrait par rapport à la rive, sa flèche doit être suffisamment haute pour être vue par les navigateurs.

Pour compléter ces repères déjà existants, les autorités décident très tôt d'en créer de nouveaux. Elle prennent notamment rapidement conscience de la nécessité de disposer des repères de part et d'autre de l'entrée de la Gironde, sur la pointe de la Coubre comme sur celle de Grave. Aux 17e et 18e siècles, la pointe de la Coubre, que la forêt n'a pas encore fixée, est extrêmement changeante, au gré des vents et des courants qui, poussant les sables, modifient la physionomie des lieux en surface comme sous l'eau. Dès 1690, une balise en bois pouvant porter un fanal est positionnée à la pointe de la Coubre. Reconstruite vers 1745, une "tour en bois" est citée sur la carte de Cassini au milieu du 18e siècle, ainsi que sur la carte de la Gironde par Desmarais en 1759.

En 1768-1771, le programme d'amélioration de la navigation dans l'embouchure de la Gironde, établi par les autorités royales, ajoute à ce dispositif deux balises en bois à la baie de Bonne Anse, en plus de deux tours sans feux lumineux construites l'une au Chay (Royan), l'autre à Terre-Nègre (Saint-Palais-sur-Mer). Renversée par une tempête en 1785, la tour principale de la pointe de la Coubre est remplacée par une tour en pierre de 26 mètres de haut qui semble porter un feu. Ces différentes tours et balises sont indiquées sur la carte de la Gironde par Teulère, établie en 1776 et révisée en 1798. Suivant les instructions de Teulère, la tour en pierre est repeinte en noir pour mieux se distinguer des dunes de sable qui l'entourent. En 1830, elle est remplacée par un fanal en bois, déplaçable selon les besoins et l'évolution des bancs de sable à indiquer. Cette tour en charpente est elle-même remplacée par une nouvelle tour en pierre en 1841, à laquelle succède une autre tour en charpente, pyramidale, en 1860.

Beaucoup plus en amont, et à mesure qu'ils s'avancent dans la Gironde, les navires manquent de tels repères surélevés, lumineux ou non, se détachant sur le paysage de la côte. Au sud de Talmont-sur-Gironde, les coteaux et les villages s'éloignent de la rive dont ils sont séparés par des marais de plus en plus profonds. Clochers et moulins s'avèrent trop lointains pour être vus. C'est sans doute la raison pour laquelle les autorités établissent, vraisemblablement dans la seconde moitié du 18e siècle ou au début du 19e, quelques amers, des repères pyramidaux en pierre de taille qui, depuis l'estuaire, apparaissent comme des pointes blanches au sommet des coteaux. Une telle pyramide se trouve à Barzan, sur le plateau de la Garde qui surplombe l'ancien site antique du Fâ. Haute d'environ quatre mètres, elle présente ses quatre faces, aux angles moulurés, vers chacun des quatre points cardinaux. Elle porte plusieurs inscriptions, dont la plus ancienne est datée de 1844. A Saint-Fort-sur-Gironde, un autre amer, cette fois de forme conique, domine le tertre de Beaumont. Reconstruit en 1875, il comprend un volume intérieur, accessible par une porte, et possède une petite ouverture à son sommet où l'on devait probablement placer un feu en guise de signal lumineux.

Phares et sémaphores

Le recours aux balises et aux amers, qu'ils soient lumineux ou non, présente toutefois d'importants inconvénients : les amers sont bien visibles le jour mais pas la nuit, et les feux au sommet des fanaux lumineux doivent être régulièrement entretenus, sinon rallumés car éteints par le vent. Dès la première moitié du 19e siècle, on opère donc des améliorations destinées d'une part à protéger et mieux entretenir les feux, d'autre part à mieux signaler les côtes et les bancs par un système qui alterne les feux de différentes couleurs. Aux balises, fanaux et amers succèdent alors les phares.

En 1838, une lanterne provisoire, remplacée par un feu définitif en 1842, est ainsi établie dans une cabine au sommet de la tour de Terre-Nègre, après plusieurs essais visant à obtenir la lumière la plus intense et la plus visible possible. Le nouveau phare de Terre-Nègre, complété par un autre plus petit pour créer un alignement, est équipé en 1899 d'un feu clignotant à secteurs colorés blanc, rouge et vert. Il sera électrifié peu avant 1939.

En aval, la tour en charpente établie en 1860 à la pointe de la Coubre est vite rattrapée par les sables et par le trait de côte qui ne cesse de reculer. Un phare en pierre et ciment est construit juste à côté en 1892-1895 mais il est à son tour englouti par les vagues en 1907. Entre temps, en 1905, on a édifié un nouveau phare, cette fois plus à l'intérieur des terres pour résister plus longtemps, espère-t-on, au recul du trait de côte. Novateur, le phare, encore en place de nos jours, comprend une tour en béton armé de 64 mètres de haut, construite en quelques mois seulement. Un soin architectural particulier est apporté à l'édifice, par exemple autour de l'escalier en vis dont la cage est recouverte de plaques d'opaline. Au cours du 20e siècle, le trait de côte continue à reculer. Le phare n'est plus aujourd'hui qu'à quelques dizaines de mètres de la plage...

En amont, la présence des bancs et des pointes rocheuses qui se succèdent sur la côte de Royan et de Saint-Georges-de-Didonne est indiquée par d'autres points lumineux, notamment par le phare de Vallières, édifié sur la pointe du même nom en 1900. Un feu y est déjà mentionné en 1812, faisant le pendant à un autre établi sur la pointe de Suzac, de l'autre côté de la conche de Saint-Georges-de-Didonne. Deux maisons-phares sont construites sur ces deux pointes en 1860. En 1897, l'alignement formé par ces deux points lumineux prend encore plus d'importance dans la réglementation de la navigation sur l'estuaire. Le premier phare de Vallières, trop bas, fait place à une nouvelle tour en pierre de taille haute de 25 mètres, mise en service en 1901. Après 1945, le développement du port pétrolier du Verdon modifie les circuits de navigation, rendant inutile l'alignement de Saint-Georges. Le phare de Vallières est éteint en 1969. Il est classé au titre des monuments historiques en 2012, un an après l'inscription des phares de Terre-Nègre et de la Coubre.

D'autres tours jouent ou ont joué un rôle important pour la navigation dans l'embouchure de la Gironde. A quelques encablures du phare de la Coubre, un sémaphore édifié en 1862 n'est plus aujourd'hui qu'un souvenir ; démoli en 2001 car rattrapé, lui-aussi, par les sables et les vagues, il n'en reste plus que le soubassement, sur la plage. En 1990, un autre sémaphore a été établi sur un ancien blockhaus, en arrière du phare de la Coubre ; ce sémaphore a cessé son activité en 1998. Dans la forêt des Combots d'Ansoine, à Saint-Palais-sur-Mer, une tour-radar a été édifiée en 1960-1962 pour, encore aujourd'hui, améliorer le guidage et la surveillance du trafic maritime dans l'embouchure de la Gironde.

Périodes

Principale : Temps modernes, Epoque contemporaine

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