Îles de l'estuaire de la Gironde

France > Nouvelle-Aquitaine

L'archipel estuarien, par nature mouvant, s'inscrit dans une longue histoire dont les premiers linéaments peuvent être restitués grâce à l'analyse géomorphologique et à l'archéologie. Pour la période antique, il apparaît que les rivages du Bas-Médoc, in medio aquae, sont formés de secteurs marécageux couverts par les marées d'où émergent quelques îles et îlots, correspondant aujourd'hui aux sites de Jau, Talais, ainsi qu'à Cordouan à l'embouchure (peut-être Antros, île mentionnée par le géographe Pomponius Mela au Ier siècle après J.-C.).

Au Moyen Âge, ces éminences sont peuplées et certaines peuvent accueillir un établissement religieux : ainsi de l'îlot de Jau, site funéraire dès le haut Moyen Âge, probablement associé dès lors à un édifice cultuel avant de servir d'assise à une chapelle publique au 13e siècle. D'autres sites insulaires sont recherchés par des ordres monastiques en quête de lieux isolés : un oratoire dépendant de Cluny existe sur le plateau rocheux de Cordouan au 11e siècle ; l'îlot d'Ordonnac est vraisemblablement occupé par un premier monastère à la même époque, refondé et rattaché à l'ordre augustinien en 1130. En amont, proche du rivage médocain aux abords de Macau, des ermites avaient été établis sur l'île appelée Machanina, revendiquée à la fin du 12e siècle par l'abbaye bordelaise de Sainte-Croix. Cette abbaye, en possession de l'ensemble des îles du secteur compris entre Macau et le bec d'Ambès à la fin du Moyen Âge, procède à la mise en culture de ces terres fertiles. Outre la présence de pâtures dont témoigne le nom d'île des Vaches, leur vocation viticole transparaît dès lors, avec l'indication des "vins trulhis" (de presse) qui y sont produits.

Alors que les rivages du Bas-Médoc perdent progressivement leur caractère insulaire, dans la partie amont des bancs plus ou moins stabilisés peuvent disparaître au gré des courants, être rattachés au rivage ou fusionner pour former des îles véritables. C'est le cas de l'île Cazeau, semble-t-il issue de la réunion de deux bancs sableux à la fin du 16e siècle. Dans le contexte des guerres de Religion puis des troubles liés à la Fronde, cette île proche de la confluence est mise à profit pour assurer un contrôle sur le trafic estuarien : un fort y est établi en 1621. Un autre fort est installé en 1622 sur l'île d'Argenton, en aval de Blaye, destiner à surveiller le chenal de navigation et la circulation fluviale entre l'amont et l'aval. L'intérêt défensif des sites insulaires est consacré avec la construction à la fin du 17e siècle, sur un banc sorti des flots face à la place-forte de Blaye, d'une tour à canons appelée fort Pâté. Cet élément militaire compose, avec la citadelle remodelée et un fort sur la rive médocaine, le verrou défensif de l'estuaire, pensé et réalisé par Vauban afin de croiser les tirs. Du début du 18e siècle date les premiers travaux de confortement des rives de cette île rognées par les courants.

Des travaux de stabilisation des berges et d'endiguements contre les hautes eaux sont réalisés pour assurer une protection des domaines insulaires, généralement possédés à la fin de l'Ancien Régime par des parlementaires ou des négociants bordelais. Mais c'est surtout au 19e siècle que de grands travaux sont entrepris, parallèlement à l'investissement de ces terres agricoles et aux nécessités d'améliorer le chenal de navigation. Si la première moitié du siècle ne voit guère de projets d'ampleur, les pouvoirs publics, et en particulier l'autorité départementale, engagent à partir des années 1850 des chantiers visant à stabiliser les îles en les unissant : c'est le cas des îles Sans Pain et Boucheau reliées par une digue afin de former l'île Nouvelle, ou des îles Philippe et Patiras. De même, après le comblement du détroit entre l'île Cazeau et l'île du Nord, l'île Verte est progressivement réunie à l'île du Nord pour former le plus vaste ensemble insulaire estuarien. Ces travaux permettent d'améliorer la navigabilité du chenal. Quant à l'entreprise de "rescindement" de l'île Cazeau dans les années 1880, destinée à faciliter les passages du bec d'Ambès, elle est abandonnée dans la décennie suivante en raison de sa faible efficience.

L'autre intérêt de la fusion des îles est, pour les propriétaires terriens qui les possèdent, d'augmenter leur surface cultivable, en particulier à partir de la crise du phylloxéra dans le 4e quart du 19e siècle. Préservées de l'infestation et facilement inondables l'hiver, ces îles deviennent, entre les mains d'investisseurs, le siège de véritables colonies agricoles et viticoles. Les principaux domaines, tels ceux de l'île Verte, de Sans Pain ou de Boucheau, sont transformés en "villages" composés, autour des bâtiments d'exploitation, des édifices destinés à loger le personnel, de l'école, et, généralement, de la demeure du maître. L'approvisionnement en eau potable y est assuré par des puits artésiens. Si la viticulture est l'activité dominante, les légumineuses et les vergers représentent une part importante de la production.

Avec la crise viticole du 20e siècle, les vignobles insulaires sont progressivement abandonnés au bénéfice d'autres cultures extensives : plantations de peupliers, céréales... Les domaines et "villages" délaissés sont désertés dans la seconde moitié du 20e siècle. Seul celui de l'île Margaux subsiste et prolonge encore l'aventure des vignobles insulaires estuariens.

Tandis que l'île de Croûte, au large de Bourg, disparaissait à la suite de la tempête de 1999, une brèche dans la digue de l'ancienne île Boucheau, propriété du Conservatoire du littoral, posait la question de sa pérennité ; le choix a été fait de sa "renaturation". A la même époque deux nouvelles îles émergeaient à proximité du plateau de Cordouan et au droit de Plassac.

Périodes

Principale : Moyen Age

Principale : Temps modernes

Principale : 19e siècle

L'archipel estuarien constitué à son maximum d'un ensemble d'une douzaine îles, compose un paysage particulièrement mouvant.

Formés par les apports d'alluvions et de sédiments, des bancs de sable ou "vasards" sont apparus au gré des courants et des marées ; ils deviennent un "fagnard", lorsque la végétation s’y fixe peu à peu, ou une véritable île quand ils sont stabilisés par des aménagements et des digues. Tantôt rattachées à la terre ferme, tantôt reliées entre elles pour améliorer la navigation, les îles animent les horizons linéaires de l'estuaire, leur accès peu aisé accentuant leur mystère.

Se succèdent depuis la confluence, au milieu des eaux, "la Grande île", réunissant sur 12 km de long les îles autrefois distinctes de Cazeau, du Nord et Verte ; l'île Margaux plantée en vigne ; l'île du fort Pâté, défense formant avec le fort Médoc et la citadelle de Blaye le verrou Vauban ; l'île Nouvelle, née de la fusion des anciennes îles Bouchau et Sans Pain ; Patiras et son phare. L'îlot et le feu de Trompeloup marquent enfin l'extrémité nord de cette énumération insulaire. Au-delà, les bancs de sable affleurent par endroits, se déplacent et dessinent des paysages subaquatiques invisibles. Ces îles estuariennes rappellent combien les paysages peuvent être changeants à court terme.

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