" Les sieurs Marc Buisson, André Auzanneau, Louis Sillot et Antoine Raison, propriétaires du moulin de Maillé, ont construit un barrage en piquets et en fascines, marqués AB sur le plan ci-joint, et d'environ cinquante centimètres au-dessus de l'étiage, dans l'intention d'éloigner les eaux du derrière des roues de leur moulin. M. le Maire de Maillé, pensant que le dit barrage pourrait rejeter les eaux dans le bras gauche de la Gartempe, et par suite rendre moins commode le gué qui le traverse, ordonna aux meuniers de le détruire, ais ces derniers s'y sont refusés.
L'ingénieur ordinaire soussigné, chargé d'examiner les localités, après s'être transporté au moulin de Maillé, accompagné de M. le maire et en présence des propriétaires du moulin, a reconnu ce qui suit :
Le chemin qui traverse la Gartempe, au moulin de Maillé, est très fréquenté puisqu'il sert de communication entre une partie du Berry et Poitiers ; il est donc important de s'opposer à toute entreprise qui tendrait à le rendre moins commode ou plus dangereux ; or l'établissement du barrage AB pourrait-il produire cet effet ? Voilà ce qu'il s'agit d'examiner.
Nous n'avons pu juger de l'état des lieux avant l'établissement de ce barrage, construit depuis trois ou quatre ans, mais nous avons reconnu que dans l'état actuel, il n'est pas aussi commode qu'il pourrait l'être. En effet, le courant le plus rapide étant établi dans le bras gauche de la rivière, il serait nécessaire de rejeter la plus grande profondeur dans le bras droit, et au contraire dans ce moment, on trouve presque partout quarante deux centimètres de profondeur d'eau dans le bras gauche ; et l'on ne rencontre dans le bras droit la même profondeur que sur environ quinze mètres, en face de la sortie du coursier du moulin. On peut conclure de cette observation que tout ouvrage qui tendra à augmenter encore la masse d'eau qui passe par le bras droit tend à détériorer le gué? Or le barrage AB est évidemment dans ce cas et a dû produire cet effet.
Cependant, comme ledit effet ne peut être considérable, nous n'avons pas dû arrêter entièrement notre opinion sur les probabilités précédentes et nous avons consulté toutes les personnes que les meuniers ou M. le maire de Maillé nous ont envoyées pour nous donner des renseignements.
Le Sr Jean Leson a prétendu qu'il ne s'était produit aucun changement dans le gué.
Le Sr Ménard croit qu'il pourrait bien s'en être opéré mais qu'il est peu sensible, seulement que le courant est un peu plus rapide qu'autrefois.
Le Sr Hyppolite Donat qui passe presque tous les jours prétend que le courant est plus rapide depuis la construction du barrage, mais qu'en remontant un peu plus haut on trouve un passage commode.
Le Sr Jacquelin assure que le gué n'est pas dégradé mais qu'il est un peu moins commode à cause de la plus grande rapidité du courant.
Le sr Marsilly prétend que si les personnes présentes jugent mal de l'effet produit, cela tient à ce qu'elles ne passent qu'à cheval, mais que lui, qui y a fait passer des charrettes chargées, a très bien remarqué que le gué est devenu très incommode et dangereux.
M. Vezien, membre du conseil municipal, chevalier de la légion d'honneur, qui traverse le gué tous les jours, croit que le lit du bras gauche s'est creusé et que le courant est devenu plus rapide, mais n'affirme pas que ce changement ait été produit par le barrage.
Il existe à la vérité un bac à 600 mètres en amont du dit gué, mais comme il est en dehors de la direction du chemin, il l'allonge de près de 1200 m et est en outre fort incommode.
De tout ce qui précède, nous conclurons qu'il paraît que l'effet produit par ledit barrage est sensible quoique peu considérable, mais considérant 1° que cet effet peut s'augmenter tous les jours ; 2° que les meuniers n'avaient aucun droit à changer l'état de la rivière et qu'ils ont agi sans demander aucune espèce d'autorisation, 3° que depuis l'établissement du moulin, jamais les meuniers ,'avaient jugé un pareil barrage nécessaire et que par conséquent sa destruction ne peut nuire beaucoup à leurs intérêts, nous estimons qu'on doit ordonner aux sieurs Marc Buisson, André Auzanneau, Louis Sillot et Antoine Raison, de détruire sur le champ leur barrage et d'arracher leurs piquets, enfin de rétablir tout dans l'état primitif.
A Poitiers, le 14 juillet 1825
Signé Leblanc P. " [suivi du visa de l'ingénieur en chef qui approuve les conclusions]
" Extrait du registre des arrêtés de M. le préfet du département de la Vienne.
Nous, maître des requêtes, préfet de la Vienne, commandeur de l'ordre royal de la légion d'honneur & de l'ordre impérial de Léopold d'Autriche, membre de la chambre de députés.
Vu le procès-verbal, rédigé le 5 août 1824 par le Sr Demaraus, garde-champêtre de la commune de Maillé, arrondissement de Montmorillon, duquel il résulte que les sieurs Marc Buisson, André Auzanneau, Louis Sillot et Antoine Raison, propriétaires du moulin de Maillé, ont construit sur la rivière de la Gartempe une barrage en piquets et en fascines, et d'environ 50 centimètres au-dessus de l'étiage, que cette construction en rejetant les eaux dans le bras gauche de la Gartempe empêche qu'on puisse passer aussi commodément qu'autrefois le gué qui le traverse, que par l'effet même de ce barrage, ce gué peut devenir dangereux et être la cause d'accidents fâcheux ;
Vu la lettre de Mr le maire de Maillé, en date du 16 du même mois d'août 1824, par laquelle il nous informe qu'inutilement il a prescrit aux propriétaires de ce moulin de détruire e barrage ; qu'ils s'y sont constamment refusé ; c'est pourquoi il nous invite à user de notre autorité, afin que ce délit ne reste pas plus longtemps impuni ;
Vu le rapport et MM les ingénieurs des ponts et chaussées, sous la date des 14 et 15 juillet du présent mois ; ensemble le plan des lieux ;
Considérant que le barrage dont il s'agit a été fait sans autorisation ; que les propriétaires qui l'ont fait construire étaient sans droit pour changer l'état de la rivière ; que par l'effet de ce barrage le gué qui conduit au chemin du Berry à Poitiers (lequel est très fréquenté) ayant un cours plus rapide est devenu plus incommode, et même dangereux ;
Avons arrêté ce qui suit :
Article 1er
Les sieurs Marc Buissoneau, Marc Buisson, Louis Sillot et Antoine Raison sont tenus de démolir le barrage et d'arracher les piquets qu'ils ont établis dans la rivière de la Gartempe, sous le délai d'un mois à partir de la notification de notre présent arrêté.
Cette notification sera faite à la diligence de L. le maire de Maillé, qui, si les propriétaires n'étaient pas mis en mesure de faire cette démolition dans le délai prescrit ci-dessus, la fera exécuter à leurs frais.
Article 2
Les frais de démolition seront justifiés par des états de récolement d'ouvriers et le montant en sera poursuivi comme une contribution directe.
Article 3
Expéditions du présent arrêté à MM. les ingénieurs en chef des Ponts et Chaussées et Maire de Maillé, chargés d'en assurer l'exécution, chacun en ce qui les concerne, et de veiller soigneusement à ce qie les lieux soient remis dans leur état primitif.
Fait en l'hôtel de la préfecture à Poitiers, le 29 juillet 1825
Le maître des requêtes
Préfet de la Vienne
Signé Le Cte de Casteja
Pour expédition le secrétaire général de la préfecture. "