Pour autant et fort heureusement, cet intérêt ne s’arrête pas à un Palais Rohan ou un Parlement de Navarre. Une plongée dans les bases de données patrimoniales (Mérimée et Palissy) permet ainsi de découvrir pas moins de 250 mairies recensées puis étudiées sur le territoire aquitain. C’est donc tout naturellement que l’architecture édilitaire, la mairie, avec son fronton marqué de la devise de la République et sa façade pavoisée aux couleurs du drapeau tricolore, s’impose aux chercheurs de l’Inventaire.
Certes les dénominations varient : de la maison commune d’Ancien Régime à la modeste mairie de nos campagnes, en passant par le plus urbain et monumental hôtel de ville, les outils linguistiques de l’Inventaire ne sont pas avares de nuances. Avec le développement du groupe mairie-école, signe tangible de l’affirmation de la République, s’est même dégagé un modèle architectural qui répondait à des préoccupations à la fois pratiques et symboliques.
Marianne starisée
La constitution de ce corpus patrimonial ne saurait se limiter aux seuls bâtiments. Une observation des objets qui décorent les salles du conseil, des mariages ou des plus épisodiques bureaux de vote permet de compléter et de renseigner une histoire de nos traditions républicaines. Si le portrait du président en exercice, même sous l’objectif de Raymond Depardon, ne relève pas encore du patrimoine, les représentations de Marianne, souvent source « d’euphorie municipale »[1], apparaissent bien comme un véritable objet d’étude. Regrettons d’ailleurs que cette émanation d’un art quasi officiel soit parfois considérée avec le dédain ordinairement réservé aux « pompiers » de la belle époque. Car, à y regarder de plus près, ces bustes féminins proposent de nombreuses variations, de la sévère figure antiquisante des origines aux effigies moins farouches en faveur aujourd’hui. Marianne peut ainsi s’afficher tête nue – il arrive que le sein se découvre également, dans le respect de la décence - coiffée le plus souvent d’un bonnet phrygien ou d’une couronne végétale. Quant aux matériaux, parfois rustiques, ils se partagent entre bois, plâtre, marbre, bronze, ou fonte dans le cas d’une œuvre exposée aux intempéries.
Apparu en grand nombre avec l’avènement de la troisième République, le buste de mairie ne relève pourtant d’aucune obligation légale. La présence quasi systématique du monogramme RF à la base de ces sculptures ne leur confère pas de reconnaissance officielle : en effet, la République n’a pas d’autre image réglementaire que le sceau de l’État et le drapeau. Ces dizaines de Mariannes repérées, entre-autres, dans les cinq départements aquitains s’inscrivent d’abord dans une tradition. Des Mariannes de toutes formes, des bustes produits en grande série (la Marianne de Bertrand à partir de 1848, celle d’Injalbert en 1889 ou encore celle de Poisson en 1932), mais aussi des créations d’artistes locaux ou de sculpteurs contemporains plus renommés. L’exemple du buste révolutionnaire d’Aslan inspiré par Brigitte Bardot en 1969 a ainsi ouvert la voie à la starisation de Marianne.
Conçues pour accueillir le peuple souverain et le représenter tout entier, mairies et Mariannes symbolisent un pouvoir de proximité et s’imposent comme un patrimoine garant de notre histoire commune.
Christophe RAMBERT, documentaliste au service régional du patrimoine et de l’Inventaire, Région Aquitaine.