Une oeuvre inédite du peintre Henry Bellery-Desfontaines redécouverte à Availles-Limouzine
Une partie des Availlais connaissent bien la maison natale du docteur Veillon qui s’élève à la sortie du bourg en direction de Confolens. Mais combien se souviennent qu’elle contient un portrait réalisé par un peintre-décorateur majeur du mouvement Art Nouveau qui s’épanouit entre la fin du 19e et le début du 20e siècle ? Le portrait a été photographié et étudié au cours de la campagne d’inventaire du patrimoine qui se déroule actuellement à Availles-Limouzine. C’est l’occasion de revenir sur le parcours du docteur Adrien Veillon et de son ami, Henry Bellery-Desfontaines.
Carnet du patrimoine
Publié le 19 octobre 2022
# Vienne, Availles-Limouzine
# Opération d'inventaire : Vallée de la Vienne
# Tableau
# 4e quart 19e siècle
Adrien Veillon, un médecin d’origine availlaise
Adrien Veillon naît le 25 novembre 1864 à Availles-Limouzine, de parents suffisamment fortunés pour vivre de leurs rentes et propriétés. Il débute son internat à la faculté de médecine de Paris en 1890, où il commence à travailler sur les bacilles. Homme pragmatique et de bon sens, au dire de ses contemporains, il met au point une technique de culture des bactéries anaérobies dite des « tubes de Veillon » (à base de tubes de gélose sucrée en profondeur) . Une bourse de la Ville de Paris lui permet d’entrer à l’Institut Pasteur, où il devient médecin en 1901 et se spécialise dans la dermatologie. Marié à Louise Benay le 30 juillet 1904, les époux vivent essentiellement à Paris, mais conservent la maison familiale des Veillon à Availles, où ils reviennent de temps en temps. Adrien Veillon y a d’ailleurs fait aménager un cabinet médical, dans une dépendance accolée à la maison. Pendant la Première Guerre mondiale, il étudie les plaies provoquées par les combats. Il met en évidence le bacille de la gangrène gazeuse et participe à la lutte contre cette infection par l’ouverture de laboratoires de bactériologie dans les hôpitaux militaires. En 1931, l’année de sa mort, il reçoit le prix Albert de Monaco de l’Académie nationale de Médecine, plus haute distinction de cette discipline.
Henry Bellery-Desfontaines, un artiste « total »
Henry Bellery-Desfontaines est né en 1867, d’un père employé de la Caisse d’Epargne et d’une mère fleuriste. Il débute dans l’atelier du peintre-décorateur Pierre-Victor Galland (1822-1892) où il apprend les techniques de l’ornementation. Il entre ensuite à l’école des Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier du peintre Jean-Paul Laurens, participant avec d’autres élèves à la décoration de la salle de garde des internes de l’hôpital de la Charité. Diplômé en 1895, il s’intéresse à l’illustration et aux arts décoratifs, participe à l’élaboration de revues artistiques et réalise pour de riches commanditaires, très souvent des médecins rencontrés lorsqu’il était étudiant, des ensembles de mobilier pour des maisons ou de grands appartements. C’est sans doute en fréquentant ce milieu de médecins parisiens qu’il fait la connaissance d’Adrien Veillon et noue des liens d’amitié avec lui. Son éclectisme le conduit également à restaurer le château du Fôt dans la Creuse, selon les principes de Viollet-le-Duc, avec la collaboration d’Antoine Jorrand, tapissier d’Aubusson. Henri Bellery-Desfontaines fait partie de cette génération d’artistes pluridisciplinaires qui dépassent leur formation initiale de peintre pour embrasser l’ensemble des arts décoratifs, attirés par la conception d’un art total, présent dans les moindres éléments de la vie courante.
Le portrait du docteur Veillon à Availles
Henry Bellery-Desfontaines a séjourné au moins une fois dans la maison du docteur Veillon, à Availles-Limouzine, comme en témoigne une photographie accompagnée d’un petit commentaire sur son séjour à l’attention de sa famille.
Dans la maison du docteur Veillon, Henry Bellery-Desfontaines réalise en octobre 1901 un portrait en pied du docteur, qu’il dédicace : « A mon vieil ami Adrien Veillon, à ses parents, à sa femme, à ses enfants, A ses amis, A ses admirateurs, A la France, A l’Europe, A l’Amérique, Au monde entier ». Il ne s’agit probablement pas d’une commande de la part du docteur mais plutôt d’un geste d’amitié du peintre à l’égard de son ami, ce dont il était coutumier.
Peint sur une cloison de plâtre du palier au 1er étage de la maison, le portrait montre le docteur Veillon en tenue de chasse, fumant une cigarette, fusil et gibecière à l’épaule. Il porte un chapeau et des guêtres lui couvrent les jambes. Le paysage alentour est vallonné, une ferme et des champs cultivés se dessinent au loin. Dans la dédicace, peinte à mi-hauteur du portrait sur la gauche, on reconnaît la police de caractère que Bellery-Desfontaines a inventée, qui sera éditée en 1911 chez Deberny et Peignot et qui porte le nom de l’artiste. Le cartouche situé en bas du portrait n’est pas complété lors de sa réalisation, une photographie, réalisée probablement par le peintre lui-même à la fin de son séjour, le montre encore vierge. Il a probablement été complété après le décès du docteur Veillon en 1931.
En 1909, Henry Bellery-Desfontaines meurt brutalement à 42 ans, foudroyé par la fièvre typhoïde, laissant derrière lui de nombreux projets inachevés. Pour Xavier Chardeau, auteur d’une thèse de doctorat sur le peintre, « […] il est considéré par ses contemporains et par la critique de l’époque comme un artiste majeur au sein de cette génération d’artistes. […] Ses œuvres sont imprégnées d’une atmosphère romantique, parfois sensuelle et enivrante, et souvent teintées d’humour. […] Parmi cette génération d’artistes, Bellery-Desfontaines a une place importante, mais peu reconnue aujourd’hui à cause de son décès prématuré, et il est utile de le replacer enfin parmi les protagonistes de l’Art Nouveau […] ».
Auteur : Myriam Favreau, octobre 2022.
Orientation bibliographique
- CHARDEAU, Xavier, Henri Bellery-Desfontaines (1867-1909), peintre illustrateur décorateur caractéristique de l’Art Nouveau. Thèse de doctorat en histoire de l’art, sous la direction de Bruno Foucart, Paris 4 Sorbonne, Centre André Chastel. Soutenue en 2010.
- Notice biographique d’Adrien Veillon, Service des Archives de l’Institut Pasteur. (https://webext.pasteur.fr/archives/f-bio.html)