Depuis l’Antiquité, les maisons de campagne détenues par des propriétaires aisés constituèrent autant des exploitations agricoles, dont la rentabilité était au cœur des réflexions, que des résidences destinées au repos et au temps libre. Si le domaine rural était considéré comme un investissement sûr et le pivot de l'économie domestique, il était également un lieu d'évasion, où le citadin pouvait s’adonner aux activités physiques et culturelles, aux plaisirs de la table, de la bonne compagnie et de la conversation savante.
Malagar illustre l’étonnante pérennité de ces principes à travers les siècles. Sous l’égide de la famille Mauriac, qui s'attacha à en remodeler entièrement les abords dès le 19e siècle, le domaine passa d’un « bourdieu » honnêtement doté à une véritable demeure de plaisance, propice à développer l’otium si cher aux auteurs antiques. Malagar n’était pas seulement une propriété de rapport pour les aïeux de François Mauriac, en particulier pour son arrière-grand-père, Jean Mauriac, qui l’acquit en 1843. Il dota l’ancien domaine d'un parc d'agrément en aménageant une terrasse et les célèbres charmilles et supprima, au pied de cette dernière et du verger, les « joualles » par des vignes, l’autre jardin de Malagar. Ainsi, Jean Mauriac se distingue-t-il comme le principal artisan de ce paysage tant aimé de François Mauriac et se place à ce titre dans une filiation pluriséculaire. Dans son traité Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs, publié en 1600, et maintes fois réédité, Olivier de Serres, « le père de l’agronomie française », insiste autant sur l’organisation des bâtiments, qui permet d’accroître la rentabilité d’une exploitation, que sur le plaisir des yeux. Pour cette contemplation, l’emplacement de la vigne joue un rôle primordial et doit être situé au plus près de la demeure. Si François Mauriac ne dérogea pas à ces différents principes, en y recevant notamment ses amis écrivains dans un cadre paysagé redessiné par ses soins, il ajouta toutefois une touche plus personnelle à sa maison de campagne en en faisant son refuge protecteur, une « querencia » loin du tumulte de la vie parisienne et bordelaise.
La construction d’une villa, au lieu-dit Jouanet à Saint-Symphorien, au cœur des landes girondines, obéit à un programme différent. Si la proximité des propriétés forestières de la famille Mauriac conditionna évidemment le choix du lieu et devait faciliter la gestion de leurs métairies, la demeure bâtie par la mère de François Mauriac, Claire Coiffard, – par son architecture atypique dans cette zone géographique et les usages qui en furent faits – reste l'archétype de la maison de villégiature, transposée ici dans un cadre forestier. A propos de Saint-Symphorien, Mauriac déclara lors d’une interview : « Une affreuse habitation, n’est-ce pas ? Ma mère la fit construire lorsque j’étais tout jeune encore. La mode des chalets suisses sévissait alors ; il en surgissait partout du côté d’Arcachon. Voyez : nous n’avons pas échappé à la contagion. Nous nous y réunissions. On venait voir cette architecture comme les châteaux de la Loire. J’ai eu le privilège de naître en un temps où tous les êtres avaient le plus mauvais goût, le plus exécrable de tous les temps. C’était exquis ».
Eric CRON, Chef du service régional de l’Inventaire et du Patrimoine – Aquitaine