L'hôtel de la préfecture de la Vienne à Poitiers
Après avoir fait voler en éclats les cadres administratifs d’Ancien Régime, la Révolution française institue les départements, avec à leur tête des préfets qui représentent l’État et deviennent les hommes forts de la vie politique locale. Des hôtels de préfecture sont alors nécessaires pour héberger le préfet et les hôtes de marque, accueillir des évènements mondains, abriter les services et recevoir le public.
Carnet du patrimoine
Publié le 13 octobre 2022
# Vienne, Poitiers
# Opération d'inventaire : Grand-Poitiers
# Préfecture
# 19e et 20e siècles
Au début du 19e siècle, les préfectures sont souvent installées dans des hôtels particuliers, des couvents ou des palais épiscopaux. Puis, dans les décennies suivantes, de nouveaux hôtels de préfecture sont construits avec l’ambition de traduire le faste dont la fonction préfectorale doit s’entourer. La construction de l’hôtel de préfecture de Poitiers s’inscrit également dans un projet plus global d’aménagement du centre-ville, en lien avec l’arrivée du chemin de fer et le projet d’édification de l’hôtel de ville.
L’ancienne préfecture dans l’ancien évêché
Le centre historique de Poitiers est implanté sur un éperon rocheux, localement appelé « le plateau », formé par la confluence du Clain de de la Boivre. Depuis le Consulat, la préfecture est installée à l’est de la ville, à mi pente, dans l’ancien évêché près de la cathédrale.
Le cas de Poitiers n’est pas isolé, puisque dans le territoire de la Nouvelle-Aquitaine, les préfectures d’Agen, Angoulême et Périgueux ont également été un temps aménagées dans les anciens palais épiscopaux. A Poitiers, le bâtiment est alors vétuste et les travaux d’entretien sont coûteux et répétés.
L’arrivée du chemin de fer et la nouvelle organisation urbaine de Poitiers
L’inauguration du chemin de fer en 1851 dans la vallée de Boivre, à l’ouest de la ville, entraîne de nombreuses réflexions sur l’organisation urbaine. Dès 1849, l'imprimeur-lithographe Alphonse Pichot propose d’ouvrir deux boulevards symétriques en épingle à cheveux, avec des escaliers pour les piétons, pour relier de la gare, encore en construction, à une place à créer sur le plateau de Poitiers. Une autre voie doit être percée pour assurer la liaison entre cette nouvelle place et la place Royale - actuelle place du Maréchal-Leclerc - où est prévue la construction d'un nouvel hôtel de ville. Seul le boulevard nord est finalement percé et achevé dans sa partie haute en 1868 (aujourd’hui boulevards Solférino et de Verdun). Le projet du boulevard sud, qui aurait en grande partie détruit le quartier entre la préfecture et l’église Saint-Hilaire, a été rapidement abandonné.
Ce plan constitue la base des discussions animées sur l’aménagement de la ville. Rapidement se répand l’idée de construire un nouvel hôtel de préfecture au débouché du nouveau boulevard. Les débats agitent Poitiers sur l’implantation de la préfecture, de l’hôtel de ville, des voies à créer : la publication d’un opuscule de C. Thibaudeau, de nombreux articles dans la presse et plusieurs sessions de la commission des bâtiments civils, du conseil général et du conseil municipal ne dégagent pas de consensus.
Le projet de l’architecte Charles Rohault de Fleury
Sollicité en 1857 par son ami le préfet Paulze d'Ivoy, l’architecte Charles Rohault de Fleury (1801-1875) rend des plans et estime son projet à 696 420 francs en mars 1859. Au cours de sa session de 1859, le conseil général réalise une étude comparative des coûts entre la réparation de la préfecture dans l’ancien évêché (310.000 à 330.000 francs) ou la construction d’une nouvelle, en soulignant que l’actuelle préfecture est trop éloignée de la gare et qu’il faudrait ajouter la construction indispensable d’un bâtiment d’archives.
Les procédures d’expropriations sont lancées en avril 1860, alors que l’emplacement de l’hôtel de préfecture n’est pas stabilisé à quelques dizaines de mètres près. Le départ du Préfet Paulze d’Ivoy, le 5 juin 1860, brièvement remplacé par Gustave Mercier-Lacombe, compromet le projet de Rohault de Fleury. Nommé préfet le 12 décembre 1860, Charles Levert exige la présence de l’architecte sur le chantier, mais celui-ci prend prétexte de ses obligations parisiennes et se retire définitivement en juin. En décembre 1861, le préfet Levert confirme au ministre de l’Intérieur que les plans de Charles Rohault de Fleury restent valables pour le projet d’hôtel de préfecture. Un arrêté impérial du 16 avril 1862 permet définitivement l’expropriation des terrains choisis.
Le projet d’Alphonse Durand
Alphonse Durand (1813-1882) est chargé en 1862 de présenter un projet basé sur celui de son prédécesseur. Le 14 juin 1863, il rend un projet global estimé à plus de 550000 francs pour qu’il soit examiné au conseil des bâtiments civils.
Le conseil des bâtiments civils formule plusieurs recommandations qui font évoluer le projet : suppression du campanile et des avant-corps du pavillon de l’hôtel du préfet, modifications mineures des façades et des espaces intérieurs, et création de toits « à la Mansart ». Les six lots principaux sont adjugés dès le 10 novembre 1863. La surveillance des travaux est assurée au quotidien par Alexandre Martin, agent-voyer puis directeur des travaux de la ville de Poitiers, mais Alphonse Durand et ses adjoints, l’architecte Gaëtan Guérinot et M. Delaporte, viennent régulièrement sur le chantier.
Le chantier progresse rapidement : les fondations sont achevées en juillet 1864, le rez-de-chaussée à la fin de l’été 1864, les travaux de charpente pendant l’hiver 1864-1865. Le gros-œuvre est quasiment achevé en 1865. Ces grandes étapes sont documentées par trois montages panoramiques réalisés par le photographe poitevin Alfred Perlat et l’abondante correspondance entre Alphonse Durand et le préfet. Une dernière photographie d’Alfred Perlat montre le parc tout juste planté, avec la façade postérieure de l’aile nord et sur la gauche, le bâtiment des écuries, aujourd’hui remplacé par l’hôtel du département.
Les marchés de second œuvre et d’aménagement intérieur sont adjugés à partir de janvier 1866. Le chantier principal, comprenant l’hôtel du préfet et les ailes sur cour, fait l’objet d’une réception provisoire par Alphonse Durand le 5 juin 1867, puis d’une réception définitive le 5 juin 1868.
Des entrefilets parus dans la presse locale annoncent le déménagement des bureaux dans les jours suivants. Une première réception officielle est donnée dans la nouvelle préfecture le 25 août 1868, à l’occasion de la réunion annuelle du Conseil général de la Vienne : « […] une soirée a été donnée dans les beaux salons de la nouvelle préfecture » ; « un assez grand nombre de curieux stationnaient devant la grille sur la place de la préfecture, dont le bâtiment était éclairé dans toute l’étendue de sa façade » (extraits respectivement de L’Avenir de la Vienne et du Courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres du 26 août 1868).
Comme pour tout grand chantier, des malfaçons apparaissent et ne sont corrigées qu’en 1876, après de longues procédures judiciaires et amiables. Le préfet demande aussi des ajustements, comme par exemple la mise en place de marquises pour protéger les entrées latérales en fond de cour : ces marquises sont encore visibles sur des cartes postales du début du 20e siècle.
Le bâtiment ne fait pas l’unanimité ; Poitiers est alors un vaste chantier qui va se poursuivre encore pendant une dizaine d’années (construction du nouvel hôtel de ville interrompu par la guerre de 1870 ; percement de rues). Un érudit local, Charles de Chergé, en donne cette description en 1872 dans sa 3e édition du Guide du voyageur à Poitiers: « […] ce logis est l’hôtel de la Préfecture, qui a reçu, depuis peu, ses hôtes officiels, vous vous étonnerez sans doute de l’aspect écrasé et relativement mesquin de ce monument. […] Pour le prix que le département de la Vienne a mis dans cet immeuble (plus d'un million), il pouvait obtenir une chose plus monumentale et plus digne de soutenir l'honneur du présent en face des œuvres du passé ».
L’hôtel de préfecture
L’hôtel de préfecture de la Vienne comprend trois bâtiments principaux organisés autour d’une cour d’honneur : en fond de cour, l’hôtel du préfet, dont la façade postérieure domine la vallée de la Boivre avec la gare, et deux ailes en retour d’équerre sur cour. L’aile nord est principalement occupée par le conseil général et l’aile sud par des salles de réunion, des bureaux et des espaces de service (cuisines, bûcher, etc.). Une conciergerie est installée à l’entrée orientale de chaque aile. Chaque bâtiment comprend un sous-sol, un rez-de-chaussée, un étage et un étage de comble.
Les bâtiments annexes sud
Au sud de l'aile sud, un premier bâtiment est construit en 1908 perpendiculairement au premier bâtiment des archives, parallèlement à l'aile sud. En 1952-53, alors que les archives sont transférées dans une chapelle désaffectée rue Edouard Grimaud, un bâtiment administratif est reconstruit à l’emplacement du bâtiment des archives. Ces bâtiments sont surélevés en 1963 selon les plans de l’architecte Jean-Marcel Boudoin.
Une annexe destinée au service vicinal a été construite en 1908 à l'angle sud-est de la parcelle où est construite la préfecture, à proximité de l'entrée de la propriété du couvent de la Grand'Maison (aujourd'hui maison de retraite) ; elle était séparée par une cour du bâtiment des archives. Cette annexe initialement en rez-de-chaussée présentait un plan trapézoïdal, adapté à la forme de la parcelle. Réaffecté au service des HLM, ce bâtiment a été surélevé de deux niveaux en 1961.
Le nouvel accueil du public
La maison située sur la parcelle reliant la place au 30 rue Renaudot est aménagée en 1950 pour accueillir la direction départementale de la Santé, la direction départementale vétérinaire et le service des carburants. La maison voisine est adjointe aux services préfectoraux avant 1954. Elle a abrité le tribunal administratif jusqu'au milieu des années 1990. Son déménagement rue de Blossac entraîne une restructuration des deux maisons.
Les cabinets Deshoulières-Jeanneau et Fauvel-Fouché remportent en 1998 le concours d'architecture d'aménagement les bâtiments de la rue Théophraste-Renaudot. Cette annexe est inaugurée en 2004. L'accueil du public se fait désormais dans ce bâtiment, par l'entrée ouest, vers la place. L'architecture mêle béton, armature métallique et grandes baies vitrées. La façade orientale, rue Renaudot, a été profondément remaniée : elle laisse apparaître l'existence des deux maisons qui préexistaient par le maintien de la partie de la chaîne d'angle, mais toutes les baies et les largeurs de travées ont été modifiées.
Le conseil départemental
En 1987, l'aile nord, allouée au Conseil général (aujourd'hui Conseil départemental), devenu autonome de la préfecture depuis les lois de décentralisation (1982-1983), bénéficie à son tour d'une extension, construite le long du boulevard de Verdun, selon le projet de l'atelier d´architecture Ragonneau, Bodin, Ricard, de Poitiers (1986). Le bâtiment est réceptionné en 1990.
L’histoire de l’hôtel de la préfecture de Poitiers témoigne de l’évolution des institutions et des collectivités territoriales depuis la Révolution, mais aussi de la question de l’implantation de ces édifices dans l’organisation urbaine.
Auteur : Véronique DUJARDIN, octobre 2022.
Orientation bibliographique
- Clauzier Daniel, Alfred Perlat, photographe poitevin, dans Cat. Exp. Images révélées. Poitiers à l'épreuve de la photographie 1839-1914, sous la direction de Daniel Clauzier, Poitiers, musée Sainte-Croix et médiathèque François Mitterrand, 16 octobre 2015 - 17 janvier 2016, Éditions Snoeck, Gand, p. 60-87, 71 pl.
- Maïna Masson, dir., Hôtel de la préfecture de région Poitou-Charentes, préfecture de la Vienne, Hôtel du département de la Vienne, coll. itinéraires du patrimoine, n° 290, La Crèche, Geste Éditions, 2004.
- Jeanne Paquet, Roselyne Bussière, Caroline Koenig, dir.. Alphonse Durand. 1813-1882. Une vie au service des monuments, Catalogue d’exposition, Musée de l'Hôtel-Dieu (Mantes-la-Jolie), Milan : Silvana Éditoriale, 2022.
- Christian Taillard, Architecture et urbanisme à Poitiers sous le Second Empire : l'exemple de la préfecture, Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 4e série, tome XIX, 3e trimestre 1986, p. 549-560, 16 pl. ht.
- Grégory Vouhé et Anne Benéteau Péan, dir. Un Louvre pour Poitiers. La construction du Musée – Hôtel de Ville, 1867-1875, Catalogue d’exposition, Poitiers, musée Sainte-Croix, 14 octobre 2010 – 16 janvier 2011, 152 p.
- Chergé Charles de, Guide du voyageur à Poitiers, 3e éd., Poitiers, 1872.