Franchir la Sèvre Niortaise à Marans
En traversant la commune de Marans d'est en ouest, la Sèvre Niortaise se divise en plusieurs bras d'origine naturelle ou artificielle. Depuis le Moyen Âge, leur franchissement a toujours été un enjeu majeur, surtout lorsqu'il a fallu relier l'Aunis et le Poitou, la Charente-Maritime et la Vendée, selon un axe nord-sud.
Carnet du patrimoine
Publié le 9 juin 2017
# Charente-Maritime, Marans
# Opération d'inventaire : Vallée de la Sèvre Niortaise dans le Marais poitevin
# Pont
# Temps modernes et époque contemporaine
Vieux pont et passages à travers les marais
La carte des environs de Marans en 1703 et le plan de la ville en 1716, établis par l'ingénieur du roi Claude Masse, répertorient plusieurs de ces points de passage, en soulignant, dans les mémoires qui les accompagnent, la difficulté des voyageurs à passer d'Aunis en Poitou via Marans. Arrivant péniblement par le sud, la route de La Rochelle s'arrête en effet dans la cité portuaire et commerçante : aucune chaussée ne continue au-delà, vers le nord, et il faut alors s'embarquer dans le port pour remonter la Sèvre puis la Vendée en direction du Poitou et de Fontenay-le-Comte.
Un autre itinéraire, par terre cette fois-ci, suit avec difficulté digues et chemins à travers le Marais Sauvage, et franchit le canal de Vix près de la ferme des Grandes Alouettes (à l'ouest du pont actuel). L'itinéraire serpente ensuite encore plus difficilement dans les marais des Enfreneaux, à la saison sèche seulement, pour aboutir au port via le chemin de halage qui prolonge l'actuel quai Foch. Là, il est possible de rejoindre le centre-ville en traversant le port en bateau ; une possibilité dont la rue du Bateau rappelle encore aujourd'hui le souvenir.
Depuis le Moyen Âge sans doute, il existe au cœur de la cité de Marans, un point de franchissement plus stable : le Vieux pont de Marans est connu par les plans qu'en a dressés l'ingénieur Trudaine dans le cadre de son atlas des routes royales, au milieu du 18e siècle. Également mentionné par Claude Masse, ce pont, auquel était adjoint un moulin à eau, enjambait la Sèvre à hauteur de l'actuelle rue de la Maréchaussée (rive droite) et d'une petite ruelle entre les quais et la place des Halles (rive gauche). Le pont permettait ainsi de relier le centre-ville de Marans aux moulins à eau qui se trouvaient, au nord, sur la rivière du Moulin des Marais.
De nouveaux ponts par-dessus les bras de la Sèvre
La volonté des autorités royales et locales aboutit enfin, à la fin du 18e siècle, à des travaux d'amélioration des conditions de circulation entre Poitou et Aunis via Marans. L'essentiel consiste en la création d'une nouvelle route royale reliant La Rochelle au Poitou, prolongeant ainsi l'ancien itinéraire au nord de Marans, à travers les marais. La construction de ce qui deviendra plus tard la route nationale (puis départementale) 137 nécessite la création de nouveaux ponts pour franchir les cours d'eau qui barrent cet itinéraire jusqu'aux Grandes Alouettes. Ces travaux résultent d'un long processus tant technique qu'administratif.
En 1747 déjà, un petit pont est établi sur la rivière du Moulin des Marais, au droit du chemin prolongeant la rue de la Maréchaussée, un peu en aval des moulins à eau (vers le confluent actuel entre la rivière, le ruisseau de la Fragnée et le canal de Dérivation). Ce pont et le chemin figurent sur l'Atlas de Trudaine en 1749. En 1768, les Ponts et chaussées entreprennent de construire une nouvelle voie à travers les marais pour désenclaver Marans au nord et mieux relier le Poitou. Cette chaussée apparaît sur la carte du bassin de la Sèvre Niortaise par Jacques Parent, établie dès 1767, puis sur la carte du même territoire par Mesnager en 1818 (date à laquelle elle est abandonnée depuis longtemps ; le plan cadastral de 1820 n'en fait même pas état). Cette voie prend naissance au Contrebot de Vix, au sud-ouest des Grandes Alouettes (là où partait l'ancien itinéraire), et file en ligne droite en direction de la rivière du Moulin des Marais qu'elle franchit à l'aide du petit pont de 1747. L'itinéraire emprunte ensuite l'ancien chemin entre ce pont et l'entrée nord de Marans par la rue de la Maréchaussée. Cette nouvelle chaussée est dénoncée dès le mois de décembre 1768 par tous les riverains car elle forme comme une digue, à peine percée de deux arches, empêchant les eaux d'amont de s'évacuer et augmentant l'effet des inondations en amont.
Cette chaussée s'avérant donc inopérante, voire contre-productive, la construction de la nouvelle grande route royale est menée à bien au début des années 1780. Elle nécessite l'édification, en 1784, de quatre ponts en bois par-dessus les canaux et cours d'eau franchis au nord de Marans : le canal de Vix, le Contrebot de Vix, la rivière du Moulin des Marais et le ruisseau de la Fragnée. Durant l'hiver 1808, une forte inondation engloutit une partie de cette route. Sa nécessaire surélévation est réalisée en 1812, avec par conséquent la reconstruction des ponts, toujours en bois, et désormais accessibles par des rampes. Ces quatre ponts figurent sur le plan cadastral de 1820. Ils seront reconstruits par la suite, en pierre, notamment lors de l'élargissement de la rivière du Moulin des Marais dans les années 1880.
S'y ajoute à la même époque un cinquième pont, en pierre et métal, édifié en 1887 par-dessus le nouveau canal dit de dérivation ; celui-ci vient d'être creusé entre Marans et la rivière du Moulin des Marais pour accroître la capacité à évacuer toute l'eau du vieux lit de la Sèvre. Le pont de la rivière du Moulin des Marais, détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, sera reconstruit, en béton, après 1945 ; le pont du canal de dérivation sera lui aussi remplacé en 1962.
Bien en amont, un autre pont a été construit en 1871, cette fois pour faire passer la ligne de chemin de fer de La Rochelle à La Roche-sur-Yon : situé à la limite entre Marans et l'Île-d‘Elle, ce pont présente un tablier en métal reposant sur de puissantes piles en pierre de taille.
Le pont de pierre, un pont du 18e siècle resté intact jusqu'à nos jours
La création de la nouvelle route royale au nord de Marans dans les années 1780 nécessite également d'établir un nouveau pont sur la Sèvre au cœur même de la ville. Le site choisi se situe en amont du vieux pont, là où déjà Claude Masse mentionnait un petit port pour l'embarquement des voyageurs, au débouché d'une petite rue. La rue d'Aligre est tracée à la même occasion ; elle vient prolonger la ruelle initiale vers le sud en transperçant l'enclos de l'ancien château fort de Marans.
Les travaux de construction du pont commencent vraisemblablement dès 1779 par la surélévation de la rue d'Aligre pour former des rampes d'accès au futur ouvrage. À l'été 1780, l'installation des batardeaux (barrages provisoires en bois) destinés à mettre la rivière à sec, est en cours. L'entrepreneur Lacour est chargé de la construction du pont, sous la surveillance de l'ingénieur des Ponts et chaussées Duchesne. Le chantier est achevé en 1782.
Depuis lors, le pont de pierre n'a connu que peu de modifications. Il a conservé ses deux arches et sa pile centrale, protégée par des éperons ; son parapet en pierre de taille ; les escaliers également en pierre, qui l'encadrent du côté aval. Seuls les escaliers côté amont ont disparu, remplacés par des rampes dans les années 1870, de manière à faciliter l'accès des véhicules aux quais Joffre et Leclerc.
Quant au vieux pont médiéval en aval du nouveau, il a été démoli en 1784. Quatre-vingts ans plus tard, rétablissant la liaison d'une rive à l'autre de la Sèvre près de l'ancien pont médiéval, mais pour les piétons seulement, une passerelle métallique sera aménagée par-dessus le nouveau barrage éclusé du Carreau d'Or.
Auteur : Yannis Suire, avril 2017. Photographies, sauf mention contraire : Région Aquitaine Limousin Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / Yannis Suire.