Pierre Sirvin, architecte : « Prix de Rome et modernité »
Carnet du patrimoine
publié le 12 octobre 2022
# Landes, Aire-sur-l'Adour, Dax, Peyrehorade
# Patrimoine des lycées de Nouvelle-Aquitaine
# Architecture scolaire
# 20e siècle
Né à Paris en 1924, il est le fils de Paul Sirvin, architecte en chef au M.R.U (ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme) et architecte en chef des Bâtiments civils et Palais nationaux. Pierre Sirvin a étudié à l’École régionale d’architecture de Clermont-Ferrand, puis à Paris où il a été l’élève de Roger Expert. Le 2e Second Grand Prix de Rome lui est décerné le 26 juillet 1949 [1]. Il est architecte en chef des Bâtiments Civils et Palais nationaux en 1962, comme son père, ce qui lui donne accès à la commande publique. En 1985, il est membre titulaire de l’Académie d’architecture, reçu au fauteuil de Jean Ginsberg [2]. Il meurt à Paris le 24 janvier 2007.
Volonté politique : le Ve Plan (1966-1970)
Exemple landais d’importance, le projet de construction du "Lycée polyvalent mixte" d'Aire-sur-l'Adour a été approuvé par le ministre de l'Éducation nationale par arrêté du 25 février 1965. Ce qui est aujourd’hui la cité scolaire Gaston-Crampe a été construite à partir de 1966. Le Préfet de Région, dans son rapport d’orientation générale pour le Ve Plan adressé au gouvernement, a donné la priorité absolue aux investissements pour la formation intellectuelle des élèves. En ce qui concerne l’enseignement du second degré et en particulier du deuxième cycle, le Ve Plan a permis de réaliser l’achèvement des lycées polyvalents-CET [3] de Dax et Aire-sur-l’Adour. En 1959, à l’augmentation des effectifs s’était ajoutée l’extension de la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans. Au lycée de Dax, 1885 élèves et, à Aire, 1585 étaient attendus pour les années scolaires 1961 et 1962.
De l’art en barres
Nécessité oblige, l’industrialisation de l’architecture des établissements scolaires est de mise à cette époque. Normalisation (plan quadrillé à 1m75 [4], couloir central, R+3 ou 4), préfabrication : naît alors la politique des modèles. L’étude des plans d’origines, quand ils ont été conservés, les cartes postales des années 1960-1970 en vue cavalière permettent de réapprécier la logique et la cohérence des projets initiaux [5].
« Prix de Rome et modernité » selon l’expression de l’architecte Philippe Madec dans son hommage à Pierre Sirvin [6]. Cela se traduit pour Sirvin par l’élaboration de programmes où la fonctionnalité règne avant tout, particulièrement ici pour répondre à une commande publique spécifique. Pour lui, cette exigence professionnelle est avantageusement associée à une qualité architecturale rendue possible par sa maîtrise de l’art du dessin. A l’heure des logiciels de dessin ne se pâme-t-on pas devant une esquisse jetée sur une feuille volante ?
Pour le lycée de Dax (lycée de Borda), Philippe Madec évoque « la force et la rationalité miesienne [7] ». Ce lycée mixte a été aménagé selon les plans établis en 1960-61 par « l'architecte en chef Pierre Sirvin » et les architectes associés André Grésy et Jean-Raphaël Hébrard (Agence Aquitaine Associés). Une des barres « cartepostalisée » montre l’ossature de béton délimitant treize travées occupées par trois baies dont la partie supérieure est divisée par un élément soulignant l’horizontalité ; la partie inférieure est occupée par une allège offrant à l’élévation des « pleins » colorés. Dans de nombreux cas de maîtrise d’ouvrage par l’État, l’architecte en chef (parisien), concepteur, était associé avec un ou des architectes d’opération (locaux).
Dans ses chantiers de lycées, Sirvin a ajouté une dimension fondamentale de la relation avec des artistes, souvent les mêmes, devenus des amis. Le 1% artistique lui a donné l’occasion d’en faire ses collaborateurs. Pour réaliser « Le jardin minéral » au lycée Gaston-Crampe, Pierre Sirvin a choisi Janine Tassy et Francis Burette (élève d'Adam) et Jacqueline Hureau. A maintes reprises, l’architecte a demandé la collaboration du sculpteur Louis Chavignier, qui a imaginé, par exemple, la monumentale « Caravelle » ornant la cour du lycée de Borda de Dax. En ce qui concerne le 1% artistique, les arrêtés des commissions de la commande publique mentionnent le seul nom de l’architecte en chef, qui est généralement présent lors des commissions et à qui sont envoyés notes et rapports.
Des chantiers aquitains
Le fonds d’archives des agences de Paul et de son fils Pierre est à l’heure actuelle conservé par la famille. La conservation de ces archives est primordiale pour l’histoire de l’architecture. Paul Sirvin (1891-1977) a notamment collaboré avec Joseph Bassompière et Paul de Rutté pour l’ensemble, aujourd’hui menacé, de la cité jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malbry. Des recherches dans ces fonds permettront d’expliquer précisément les relations privilégiées de Pierre Sirvin avec l’Aquitaine. S’est-il fait connaître lors des grands concours pour le quartier Mériadeck (1959-1970), ou pour celui du quartier du Lac de Bordeaux en 1966 ? Le prix de Rome lui a donné le statut d’architecte des Bâtiments civils et des Palais nationaux, et de là, la priorité (ou le monopole) pour les commandes du ministère de l’Éducation nationale en matière de construction d’établissements scolaires. Une note du ministère de l’Éducation nationale au préfet en date du 21 novembre 1969 concernant le CET de Peyrehorade mentionne que : « L’architecte désigné est M. Sirvin, qui établira son projet en collaboration avec l’entreprise de constructions industrialisées Duc et Méric [8] ». A partir de 1962, l’Etat avait organisé des appels d’offre nationaux pour sélectionner des binômes architecte/entreprise qui interviendront sur l’ensemble des chantiers.
D’abord prévu pour être un collège d’enseignement technique pour filles, l’établissement de Mont-de-Marsan construit en 1960 devient le lycée Charles-Despiau. En 1977, pour le lycée Fréderic-Estève dans la même ville, Sirvin fait appel à son ami artiste mosaïste « Atila » [9]. Le lycée Gaston-Fébus d’Orthez date de 1977, Louis Chavignier et Gérard Singer se sont consacrés au 1% artistique.
Brutalisme et expressionnisme
Si dans ses programmes de commandes publiques Pierre Sirvin offre, par quelques aspects, une approche inspirée du rationalisme structurel, parfois dit de « tradition française », pour les commandes privées il séduit ou provoque par le parti pris proche, dans la forme et dans la mise en œuvre des matériaux, des tendances brutalistes et expressionnistes en vogue à l’époque, formes que la culture architecturale a aujourd’hui parfaitement intégrées et place à leur juste valeur. Pour seul exemple, la maison Girard construite dans les années 1970 au Plessis-Robinson perchée sur une structure en béton, une sorte de « machine à habiter » individuelle.
[2] Jean Ginsberg (1905-1983) auteur de nombreux immeubles de prestige « d’inspiration moderniste » dans le 16e arrondissement de Paris.
[3] En 1959, dans le cadre de la « réforme Berthouin » les CA (centre d’apprentissage) sont transformés en CET (collèges d’enseignement technique) qui deviendront à leur tour lycées d’enseignement professionnel en 1975 puis lycées professionnels en 1985.
[4] Puis 1m80 pour correspondre aux dimensions des matériaux de construction.
[5] Lecture souvent brouillée aujourd’hui par les extensions et restructurations. Cohérence et logique de circulation que les architectes actuels s’efforcent de réintroduire à l’occasion de rénovations.
[6] Hommage prononcé le 8 novembre 2006 à l’Académie d’Architecture, Hôtel de Chaulnes, Paris.
[7] Mies van der Rohe (1886-1969). Son architecture est souvent qualifiée comme : « attentive aux détails, une fluidité des espaces, une structure claire».
[8] Entreprise de construction toulousaine existante dans les années 1960. Dépositaire d’un des procédés de préfabrication agréé auprès des autorités officielles. Arrêt d'activité en 1984.
[9] Atila Biro, né Attila Bíró (1931-1987) est un architecte et peintre hongrois, naturalisé français.