Le château de Clérans

Une origine incertaine

Tout comme celle de La Salle, l'origine de la seigneurie de Clérans reste incertaine. Plusieurs faits et l'analyse des vestiges en place suggèrent toutefois qu'elle fut créée au moment du grand mouvement d'affirmation de la hiérarchie féodale qui a donné lieu à la multiplication de petits seigneurs locaux. Ce mouvement de chasement de vassaux, par lequel les seigneurs-châtelains de Montignac (dont dépendait Saint-Léon) concédaient des territoires à leurs chevaliers ou écuyers pour les récompenser, est attesté par des textes en 1257 dans la paroisse du Cern et en 1280 pour celle de Sergeac (voir le repaire noble de Cramirac : Texte Libre). Ce phénomène de chasement est courant au XIIIe siècle et permet au seigneur d'asseoir son assise territoriale et de percevoir de nouvelles redevances. En estimant que les sources ne reflètent que plus tardivement leur apparition réelle, on peut penser que ce phénomène débuta en réalité au début du XIIIe siècle. L'imposante tour-maîtresse du château voisin de La Salle, qui peut être datée de ce moment, conforte l'hypothèse d'une création simultanée du fief de Clérans et peut-être d'un troisième fief, celui de La Peyronie, mentionné en 1233 : La Salle dans les terres, Clérans et La Peyronie en bord de Vézère, le premier en amont du bourg, le second en aval et proche d'un moulin et d'une pêcherie qui en dépendent - du moins est-ce encore le cas au début de l'époque moderne. D'évidence, la création de la seigneurie de Clérans à cet endroit est liée à la volonté de contrôler la Vézère et de protéger la "ville" de Saint-Léon du côté de la rivière - un péage "par terre et par eau" est attesté dans les privilèges de Saint-Léon en 1490 (BnF, Fonds Périgord, t. 9, recueil 4), et sans doute déjà en 1399 et 1409, dates auxquelles les privilèges et franchises des habitants de Saint-Léon sont attestés (Fournioux, 2002, p. 113). A Clérans, les critères internes du mur gouttereau oriental suggèrent cette datation du début du XIIIe siècle : l'épaisseur importante, la maçonnerie en moyen appareil de pierre de taille et la mise en œuvre à joints épais.

Les premiers textes

Dans les textes, ce n'est qu'en 1365 que le nom ("Clarentium") apparaît à Saint-Léon (Lespine 26, hommages ; Gourgues 1873, p. 78). Le fief appartient alors à un membre de la famille Clérans, qui est originaire de la châtellenie éponyme (auj. commune de Cause-de-Clérans, Dordogne) et qui aura donné son nom à la seigneurie. Le fief passe ensuite de Raymond de Clarens à sa fille unique, Marguerite, qui est mariée à Bertrand d'Aussanh (d'Ausserain). Celui-ci rend hommage en 1400 au comte de Périgord pour l' "hostel" de "Clarentio, in loco Sancti Leonti".

La reconstruction de l'après-guerre de Cent Ans

Il faut toutefois attendre le tournant du XVIe siècle pour retrouver mention de la seigneurie : dans un mémoire rendu à Alain d'Albret vers 1502, Saint-Léon est décrit comme possédant deux "gentilshommes, Clarens et Perigort, chacun sa metayrie franche de guet et de commun et bel domaine, chacun [rapportant] soixante livres de rente ou environ [par an]. » Quatre ans plus tard, le 26 juillet 1506, lors du mariage de Jean de Bideran avec Jeanne des Martres (la fille de "feu" Jean des Martres, seigneur de La Salle), Jean de Massault (ou Mazault, Marault), l'un des témoins du mariage, porte le titre de seigneur de Clérans. C'est probablement à celui-ci que nous devons la reconstruction quasi totale de la demeure noble - peut-être après une destruction, comme ce fut le cas pour le château voisin de La Salle. En effet, tous les critères internes et stylistiques de la demeure nouvellement bâtie convergent vers cette datation, qui se trouve étayée par la comparaison avec le château de La Salle, qui est parfaitement daté par des analyses dendrochronologiques. Les fenêtres à moulures à listel se recoupant en partie supérieure, les bases prismatiques continues dans l'ébrasement des fenêtres, les petites fenêtres à chanfrein concave formant ébrasement, les piédroits des cheminées eux-aussi à bases prismatiques, les accolades à trilobes des parapets du chemin de ronde ou encore les orifices de tir circulaires pour armes à feu légères sont autant d'indices déterminants - et à rapprocher des critères internes de La Salle.

A ce moment, le corps de logis principal double en profondeur comprenait des pièces de stockage au rez-de-chaussée, qui était presque aveugle, seulement ouvert par de petits jours verticaux. Les pièces principales se trouvaient aux étages : les grandes salles, accessibles par l’escalier en vis, ouvraient leurs fenêtres à l’est, tandis que les chambres et leurs garde-robes étaient à l’ouest, ouvertes sur les plus belles vues du côté de la Vézère. Le petit corps de logis secondaire en retour au sud devait accueillir les pièces de service et des annexes aux salles.

L'importante campagne de travaux de "restauration" de l'édifice menée dans le troisième quart du XIXe siècle (qui n'est pas encore documentée) empêche toutefois de pousser plus loin l'analyse - faute aussi de l'étude plus sérieuse que mériterait ce château. Le plan double en profondeur notamment ne manque pas d'étonner à cette date en Périgord, ainsi que la forme des toits originels - qui n'était peut-être pas à la "guise de France" comme aujourd'hui. Par ailleurs, il faut aussi regretter la destruction au tout début du XXe siècle du corps de logis secondaire, qui prolongeait le corps de logis principal au sud, accessible par l'escalier en vis principal (les portes sont encore visibles à l'intérieur) - ce corps avait déjà subi une importante transformation puisqu'il avait perdu son étage carré - dont l'empreinte des toits pentus contre le mur sud du corps de logis principal, et la porte d'accès depuis la tour d'escalier à l'intérieur de celle-ci sont encore visibles.

Il faut également regarder de plus près les abords immédiats du bâtiment principal : le plan cadastral de 1813 indique une disposition du corps de logis entre cour (à l'ouest, en bord de Vézère) et jardin d'agrément (à l'est), directement en contact avec celui-ci, disposition absolument moderne (et précoce en Périgord si elle date des années 1500). Nous sommes tenté de voir là une disposition ancienne (si ce n'est celle d'origine), dans la mesure où le mur de soutènement conforté à l'ouest est percé à intervalles plus ou moins réguliers par des orifices de tir circulaires et qu'il était flanqué à l'angle sud-ouest d'une petite tourelle de plan circulaire (partiellement en place). Il faut également restituer le chemin d'accès à cette cour, qui était en pente douce depuis le portail d'entrée en partie dérasé (à portes cochère et piétonne, aujourd'hui murées), au nord, du côté du bourg, et montant jusqu'au niveau de la cour, qui était de plain-pied avec l'entrée du logis (la porte de l'escalier en vis). Deux choses étonnent encore dans l'état du domaine en 1813 : sa faible superficie et l'absence de dépendances agricoles et de communs.

Pour le reste, on ne sait rien du commanditaire du château, pas même l'époque de sa mort. Une chose est sûre en revanche : lui succéda un fils qui portait le même prénom, Jean II de Massault, qui fut marié à Françoise de Betz. Il rendit les foi et hommage à son suzerain, le comte de Périgord, en 1541, non seulement pour Clérans, mais aussi pour ce qu'il tient en partage du fief de La Peyronie (déjà cité) et de la Pergerie (sic pour Pégerie ?), à Saint-Léon, et pour le fief de Borne, à Vallojoulx. Jean II décéda avant 1566, date du mariage de sa fille Marguerite avec Jacques de Marans. De son mariage, il avait également eu Christophe de Massault, qui lui succède à la tête des différents domaines familiaux et qui se marie à Catherine de Salignac. Clérans passe ensuite au fils de ceux-ci, Bertrand, qui se marie à Marguerite de Vivant, la fille du seigneur de La Salle, le 6 mars 1630 (Abbé Boyer, p. 23). A Bertrand succède Jean III de Massault, écuyer, seigneur de Clérans, qui est maintenu dans la noblesse en 1666 (Les Massault portaient : écartelé d'or et d'azur). La fille de Jean de Massault, semble-t-il unique et seule héritière des biens de ses parents, fait entrer Clérans par son mariage dans la famille du Bousquet : Jacques du Bousquet, seigneur de L'Isle, de la Tour et autres places, est seigneur de Clérans en 1700 (Abbé Boyer, p. 26).

Le XIXe siècle

Avant la Révolution, le domaine passe dans la famille Du Cluzeau : en 1813, il appartient à Martin du Cluzeau, qui, en 1840, est avocat à la cour royale de Paris (il fut aussi conseiller général de la Dordogne). L'année suivante, c'est sans doute son fils, Jean-Louis du Cluzeau de Clérans, de Saint-Léon, qui soutient une thèse de médecine à l'université de Montpellier. En 1875, Marie-Thérèse du Cluzeau, leur héritière, épouse Lucien-Théophile de Saincthorent (ou Sainthorent).

La campagne de travaux du XIXe siècle, qui a modifié de manière si importante le château, est précisément datée par les analyses dendrochronologiques réalisées sur les bois de la charpente couvrant le bâtiment principal de 1876, c'est-à-dire l'année suivant le mariage de Marie-Thérèse du Cluzeau et Lucien-Théophile de Saincthorent. Il faut donc croire que c'est à ce couple que nous devons l'essentiel de l'aspect actuel du château : le grand toit à la "guise de France", couvert d'ardoises et qui était alors animé par des épis et crêtes de faîtage (visibles sur les photographies et cartes postales anciennes, ces ornements ont depuis disparu), mais aussi sans doute la reprise de nombre des fenêtres et lucarnes, d'une partie du chemin de ronde, des aménagements intérieurs, de la création du grand parc qui l’environne et de la nouvelle entrée à l’est. En 1892, Mme de Saintorent offre d’ailleurs les charmes de son « beau parc » et du château, « un vrai bijou du XVe siècle », aux membres de la société historique et archéologique du Périgord, dont Alexis de Gourgues, Jules de Verneuil, le marquis de Fayolle et Anatole Rouméjoux. Les travaux sont poursuivis dans les décennies suivantes : restauration du mur de soutènement, destruction du corps de logis secondaire sud et construction de nouveaux corps annexes au nord. Après le décès de Saincthorent, Clérans passe entre les mains de M. de Cambronne, petit neveu de l’illustre général de Waterloo. Depuis, le domaine a changé de mains à de multiples reprises.

• BELINGARD Christelle. Rapport d'analyse par dendrochronologie des bois de la charpente du château de Clérans, à Saint-Léon-sur-Vézère. 2015 (rapport multi-copié non publié).