Château de Losse

France > Nouvelle-Aquitaine > Dordogne > Thonac

Le site du château actuel, qui n’apparaît dans les textes que tardivement, d’abord sous le nom de « Peyra Talhada » en 1478, puis sous celui « de Losse » à partir de 1541, fut souvent confondu avec la demeure principale de la famille Losse qui se dressait au Moyen Âge dans la petite cité de Montignac : la domus de Lossa (1299), aussi appelée hospicium et ortus [hôtel et jardin] de Losse (1462, 1484), située dans le canton nord-est du barri du chef du Pont, soit le faubourg de la rive gauche de la Vézère ultra pontem de Montinhaci, dans la paroisse de Brenac.

Du XIIIe siècle date sans doute la création de la seigneurie à Thonac. En effet, au cours de ce siècle, le seigneur-châtelain de Montignac commence à concéder en fiefs des portions de son territoire à des membres de la chevalerie de son entourage, domicelli ou milites castri, afin de protéger par des points d’appui sûrs son organisation castrale. La Bermondie est le premier de ces domaines dans la paroisse de Thonac cité dans les textes, mais Peyretaillade (alias Losse) et Belcayre ont pu être créés au même moment : ce sont les trois plus importantes seigneuries de Thonac. On en veut également pour preuve que ces deux dernières occupent des sites éminemment stratégiques et devaient fonctionner comme des verrous sur la Vézère à la remontée vers Montignac, la première au nord-est (amont), la seconde au sud-ouest (aval) : ainsi placés à l’intersection de cinq anciennes paroisses, Thonac, Saint-Léon, Sergeac, Valojoulx et Montignac, et en surplomb sur la rivière, les deux sites, certainement fortifiés, protégeaient et contrôlaient – par des péages ? – le trafic fluvial et l’accès aux paroisses précitées. De ce premier édifice dressé sur le rocher naturellement entaillé qui lui a valu sa première appellation, rien ne semble subsister aujourd’hui.

Après les conflits armés de la guerre de Cent Ans qui ont durement touché Montignac et ses environs, Frénon II de Losse rend hommage pour tous ses biens dans la châtellenie, notamment « de sa maison de Pierretailhade, avec sa boerie » en 1478. Le 26 juillet 1506, ce seigneur apparaît encore, comme témoin, lors du mariage de Jean de Bideran à Jeanne des Martres, fille de Jean des Martres, seigneur du château voisin de La Salle, à Saint-Léon-sur-Vézère. C’est sans doute à Frénon II de Losse que l’on doit la construction d’un nouveau logis au nord-est du château actuel, logis qui fut ensuite dérasé lors de la création de la grande terrasse sur la Vézère : quelques vestiges (une croisée et une porte, murées) sont encore en place dans l'ancien mur gouttereau, actuel mur de soutènement nord de la terrasse. Frénon II de Losse, mort sans doute peu après 1506, semble être le premier membre de la famille à être inhumé dans l’église paroissiale de Thonac.

Pierre II de Losse hérite à son tour et se marie le 15 janvier 1507 (n.st.) à Anne, fille de Jean de Saint-Astier, seigneur de Lieu-Dieu à Boulazac et de Verzinas. Engagé dans la première guerre d’Italie de François Ier, Pierre II meurt avec son fils aîné Frénon III de Losse en 1515, près de Milan, sans doute lors des escarmouches qui ont précédé ou suivi la bataille de Marignan. Les morts inattendues des deux hommes placent le cadet encore mineur, Jean II (1504-1579), à la tête de la maison de Losse. Personnage le plus célèbre de la famille, celui-ci connut une carrière militaire et politique exceptionnelle (voir Texte libre).

Les années 1541 et 1542 marquent incontestablement un tournant pour Jean II de Losse, de retour de ses premières campagnes militaires en France et en Italie. D’abord, le 4 octobre 1541, il rend hommage au roi de Navarre pour tous ses biens, « la maison de Pierre Tayllade avec sa boueyrie [borie, i.e. métairie] » comprise. Ensuite, signe de son vif intérêt pour ce domaine, le 23 du même mois, il acquiert pour 1 200 l.t. du roi et de la reine de Navarre tous les droits sur le bourg et la paroisse de Thonac, justice haute, moyenne et basse, à la réserve d’un droit de rachat de deux ans par le couple princier - contrat qui sera renouvelé tous les deux à trois ans jusqu'en 1573. Dans les faits, cette acquisition revient à l’érection du domaine de « Peyre-Taillade », désormais appelé « Losse », en plein-fief : à partir de ce moment-là, Jean règne en maître sur un grand territoire, avec tous les droits et revenus qui en dépendent (voir Annexe 2). Enfin, il épouse le 5 février 1542 (n.st.) Anne de Saint-Clar, fille de Geoffroy de Saint-Clar, seigneur de Puymartin à Marquay et de Cramirac à Sergeac. Jean de Losse trouve alors dans le pécule apporté par sa jeune épouse, dans les nouveaux revenus liés à son domaine élargi (estimés à 1 500 l.t. par an) et, peut-être, dans les prises de guerre de ses campagnes militaires, les moyens financiers pour engager d’importants travaux. Les résultats des analyses dendrochronolgiques effectuées sur les charpentes des différents bâtiments encore en place attestent qu’une telle campagne de construction a bel et bien eu lieu entre 1543 et 1550. Cette campagne comprend la construction du grand corps de logis de plan en L au sud-est et la reconstruction du Grand Pavillon (au nord du Petit Pavillon déjà en place), ainsi que la construction d'une tourelle carrée flanquant l'ancien logis à l'est, côté Vézère (en place, elle aussi dérasée lors de la création de la grande terrasse). Elle se distingue stylistiquement par des fenêtres à ébrasement constitué d'une doucine et d'un réglet, moulures formant retour en partie inférieure des fenêtres et se retrouvant sur le meneau et les traverses. Aux fenêtres du Grand Pavillon s'ajoute à l'ébrasement un chambranle plat et large.

Une nouvelle campagne de travaux s'ouvre vingt ans plus tard, sans doute après la paix d'Amboise (19 mars 1563) qui met un terme à la première guerre de Religion ; le millésime gravé "1570", qui se retrouve en plusieurs endroits (tours, châtelet), en fixe le terme. Les travaux alors menés amplifient considérablement l'assiette du château, qui est mise en défense. Les fossés secs creusés dans la roche dégagent une vaste plate-forme protégée par une enceinte renforcée par cinq tours, une tourelle et un grand châtelet d'entrée, l'ensemble s’inspirant des nouvelles techniques de défense et de flanquement des places fortes développées pendant les guerres d’Italie : plan de feu impeccable en trois dimensions comprenant tirs de flanquement et en négatif, brisure du mur d'enceinte afin de former un plan bastionné (tour dite de l’Éperon et son bâtiment, au nord-ouest), tours remparées en pierres de taille non chaînées avec l'appareil des courtines, etc. De cette campagne de travaux datent également une modification de la distribution du grand corps de logis, dont témoignent de nouveaux murs de refends portant des cheminées construits dans les combles, et, sans doute, la construction d'un grand bâtiment d'écurie à l'est de la basse cour.

La troisième et dernière campagne de travaux conduite par Jean II de Losse commence probablement en 1573, après que celui-ci ait acquis définitivement, sans pacte de rachat pour cette ultime fois, la paroisse de Thonac au roi de Navarre le 17 septembre : Jean est enfin seigneur de plein droit de la paroisse de Thonac. La campagne, datée par deux millésimes gravés (1576 à la voûte d'une pièce du rez-de-chaussée et 1578 à la fenêtre insérée dans la tour de l’Éperon), relève d'une toute autre logique que les précédentes : elle vise à donner à la demeure le prestige qui lui manquait jusqu'ici par un décor et un appareil militaire plus ostentatoires, ainsi que des développements jardiniers inconnus jusqu'alors en Périgord. Les façades du grand corps de logis en L sont rhabillées avec des travées de fenêtres à chambranle continues et le bâtiment et ses tours sont surélevées par un chemin de ronde porté par de superbes consoles ; un grand escalier à rampes droites couplé à des couloirs disposés perpendiculairement est inséré dans la distribution afin de solenniser et faciliter l'accès aux pièces de réception et au logis de Jean de Losse, qui reçoit en outre une belle cheminée à pilastres superposés, doriques et ioniques ; un vaste jardin surélevé en terrasse (environ 150 x 70 m), sans doute accessible depuis le bâtiment principal (de la salle du rez-de-chaussée, comme au château de Neuvic) par un pont dormant et levis en bois franchissant la douve sèche, est érigé au sud, bordé directement à l'est par les eaux de la Vézère et comprenant à son extrémité sud-est un pavillon de jardin (en place) où le seigneur et les membres de sa famille pouvaient s'isoler au calme.

Anne de Saint-Clar, l'épouse de Jean de Losse, dut prendre une part importante dans l'élaboration de ces trois phases de travaux et à leur conduite, en l'absence de son mari occupé par ses charges et fonctions à la cour.

Après la mort de Jean II de Losse en juin 1579 et cette période fastueuse, le château connaît une histoire comparable à celle de bien d'autres domaines du Périgord. La terre est érigée en baronnie sans doute au commencement du XVIIe siècle. Succèdent à Jean II, Jean III (mort à une date indéterminée), puis Jean V (mort en 1602) et Jean VI de Losse, qui rend foi et hommage le 14 août 1609 "pour raison du château de Losse, de Bermondie, Saint-Lyons [Saint-Léon-sur-Vézère], maisons, moulins, rentes de Montignac, rentes d’Asserac, des maisons de Pervignac [Peyrignac] et de Mellet, mouvant du roi à cause du comté de Perigord et vicomté de Limoges". La grande terrasse bordant le bâtiment principal et surplombant la Vézère est sans doute érigée au cours de cette première moitié du siècle : elle entraîne la disparition de l'ancien corps de logis seigneurial de Frenon II de Losse et la réfection des murs du Grand et du Petit Pavillon auxquels il était adossé pour en faire disparaître les arrachements.

Le château fait régulièrement l'objet de réfections : la charpente du pavillon de jardin est refaite en 1616-1617, celle du Petit Pavillon à l'automne/hiver 1706-1707 et celle de la tour de l’Éperon en 1733-1734. Entre temps, à une date qu'on ignore mais antérieure à 1690, le domaine, ses dépendances et ses appartenances sont érigés en marquisat. Celui-ci devient ensuite une vicomté. Le château est décrit pour la première fois en 1730 par le chevalier de Lagrange-Chancel : "Celui [le château] de Losse, que je vis sur les bords de la Vézère, laquelle se jette vers Limeuil dans la Dordogne, est très considérable par ses tours couvertes et crenelées, par ses fossés, ses pont-levis et ses dehors, aussi a-t-il titre de viconté et suzerain de plusieurs paroisses".

Marie-Louise de Losse, fille unique et seule héritière de Jean VI de Losse, est mariée à Vincent Sylvestre de Trimbrune de Valence (1715-1797), marquis de Ferrières, comte de Valence, baron de Montesquieu en Roussillon, créé maréchal de camp le 20 février 1761. Leur fils, Jean Cyrus Adelaïde (1757-1822), fait une brillante carrière militaire au point, à la Révolution, d'être promu maréchal de camp (1791), lieutenant-général, puis général en chef des armées (1792). Cette carrière se double de mandats politiques et d'honneurs : en 1805, Napoléon le nomme sénateur et commandeur de la Légion d'honneur ; à la Restauration, Louis XVIII le fait pair de France (1814) et grand officier de la Légion d'honneur (1815).

En 1807-1808, Trimbrune de Valence vend le domaine à Henry Garnier de Laboissière, directeur des droits réunis du département de la Dordogne, et son épouse, Marguerite Chaignon, pour 105 000 francs (dont 90 000 pour les biens immeubles et 15 000 pour le mobilier). Dans la décennie suivante, Garnier de Laboissière connait des difficultés financières qui poussent ses créanciers à faire dresser un procès-verbal de l'ensemble de ses biens (31 mai 1819), première description précise du château et du domaine, puis qui l'obligent à vendre le domaine pour 106 000 francs à un certain "sieur Lidonne" (26 mai 1824). Remis en vente, Losse est acquis en 1830 par Joseph Mérilhou (1788-1856), pair de France, conseiller à la Cour de Cassation à Paris, ministre de l'Instruction publique et des Cultes, puis ministre de la Justice dans le gouvernement de Jacques Laffitte (1830-1831). En 1856, le domaine revient à son fils Baptiste. Par la suite, le château passe à la famille Laloë.

Après moins d'un an de règne (1884-1885) et exilé à Alger après une rébellion contre les Français (à partir de 1888), l'ex-empereur d'Annam, Ham Nghi (1871-1944) épouse le 4 novembre 1904 une Française, Marcelle Laloë (1884-1974), dont il a trois enfants et qui lui apporte le château. Celui-ci est inscrit dés 1928, puis classé au titre des Monuments historiques en 1932. Passant le reste de sa vie en exil, Ham Nghi meurt le 14 janvier 1944 et est enterré à Alger. En 1965, de Gaulle propose à sa fille aînée, la princesse d'Annam (1905-1999), de transférer son corps à Thonac, où se trouve encore sa tombe. Après la mort de sa mère en 1974, la princesse vend le château aux propriétaires actuels, se réservant toutefois l'ancienne métairie des Granges où elle réside. A sa mort en 1999, la princesse est enterrée avec ses parents dans le cimetière de Thonac. Le château a fait l'objet d'importants travaux de restauration à partir de 1975 et encore dans les années 1990.

Périodes

Principale : limite 15e siècle 16e siècle (détruit)

Principale : 2e quart 16e siècle (datation par dendrochronologie)

Principale : 3e quart 16e siècle (porte la date)

Principale : 4e quart 16e siècle (porte la date)

Secondaire : 2e quart 17e siècle

Dates

1543, datation par dendrochronologie

1570, porte la date

1576, porte la date

1578, porte la date

Auteurs Auteur : Losse (de) Jean

Jean II de Losse, fils de Pierre de Losse.

, auteur commanditaire (attribution par travaux historiques, attribution par analyse stylistique)

Situé dans une boucle de la Vézère à Thonac, le château se trouve au bord de la rive droite de la rivière, dressé sur un rocher qui la domine. Il se divise en deux grands ensembles placés sur le même axe : le château à proprement parler au nord et un grand jardin rectangulaire au sud.

L'assiette du château, une vaste plate-forme rectangulaire orientée nord-sud protégée par une enceinte renforcée par quatre tours, une tourelle et un grand châtelet d'entrée, est cernée par des fossés secs creusés dans la roche, au sud, à l'ouest et au nord, et par la Vézère à l'est. L'accès au château se fait uniquement à l'ouest, par le grand châtelet couvert en lauze, après avoir franchi les douves qu'enjambe un pont fixe en pierre. L'espace intérieur de la plate-forme est lui-même subdivisé en deux parties : la cour au sud, dans laquelle on pénètre en premier ; la basse-cour au nord, en léger contrebas, que commande la cour.

La cour comprend plusieurs corps de logis, du nord au sud : le Grand pavillon de plan rectangulaire (env. 13 x 7,6 m) orienté nord-sud ; le Petit pavillon de plan rectangulaire (env. 11 x 6 m), orienté est-ouest ; le grand corps de logis de plan en L, flanqué d'une tour circulaire à l'extérieur, à l'angle sud-est. Ces trois bâtiments sont bordés directement à l'est par une grande terrasse (env. 390 mètres carrés) cernée par une balustrade et qui repose sur deux rochers réunis par une large voûte en anse-de-panier. Ils sont construits en pierre de taille pour les parties vives (portes, fenêtres, angles des murs), en moellon pour le reste et couverts en tuile plate. Le corps principal possède un toit à longs-pans continu formant retour (noue), à croupe au nord et à pignon couvert à l'ouest. La basse-cour est occupée par une vaste grange-étable au nord et l'ancien bâtiment des écuries à l'est.

Le vaste jardin surélevé en terrasse, de plan rectangulaire (environ 150 x 70 m), orienté nord-sud, comprend à son extrémité sud-est un pavillon de jardin en pierre de taille de plan carré, haut d'un étage de soubassement et d'un rez-de-chaussée, couvert d'un toit en pavillon en lauze. Il est doté de deux échauguettes en encorbellement sur consoles, aux angles nord-ouest et sud-est.

Le domaine comprend en outre deux anciennes métairies : les Granges à très faible distance au nord-ouest du château, la Vidalie à près de 400 mètres au sud.

Murs
  1. Matériau du gros oeuvre : calcaire

    Mise en oeuvre : moellon

  2. Matériau du gros oeuvre : calcaire

    Mise en oeuvre : pierre de taille

Toits
  1. tuile plate
Étages

1 étage carré

Couvertures
  1. Forme de la couverture : toit à longs pans

    Partie de toit : demi-croupe

  2. Forme de la couverture : toit à longs pans

    Partie de toit : pignon couvert

Escaliers
  1. Emplacement : escalier dans-oeuvre

    Forme : escalier droit

    Structure : en maçonnerie

Décors/Technique
  1. sculpture

Localisation

Adresse: Nouvelle-Aquitaine , Dordogne , Thonac

Milieu d'implantation: isolé

Lieu-dit/quartier: Losse

Cadastre: 1813, 2013

Localiser ce document

Chargement des enrichissements...