Patrimoine et inventaire de Nouvelle-Aquitaine

L'histoire de la statue d'Adolphe Thiers à Saint-Savin commence en 1880 à Bône, en Algérie, ville pour laquelle elle a été réalisée. Elle est aussi liée à la statue mise en place en 1879 à Nancy et qui lui a servi de modèle, deux ans après le décès du Grand Homme.

En effet, à la suite de la mort d'Adolphe Thiers le 3 septembre 1877, l'idée d'ériger une statue en son honneur s'impose à Nancy, ville et territoire lorrain qu'il a fait libérer de l'occupation allemande en septembre 1873. Un comité est rapidement constitué le 12 septembre 1877, présidé par Théophile Noblot, membre du conseil municipal de Nancy et conseiller général de Meurthe-et-Moselle. Le 24 octobre, une commission est formée afin de définir les critères artistiques attendus. En janvier 1878, l'idée d'un concours est adoptée, avec un rendu des maquettes attendu pour le 15 juin suivant. Le programme artistique prévoit la réalisation par "les départements de Meurthe-et-Moselle, de la Meuse, des Vosges et des Ardennes" d'un monument destiné à rendre hommage au "libérateur du territoire". C'est la proposition du sculpteur Ernest Guilbert (1848-1913) qui est finalement retenue le 19 juin 1878, au détriment de celle du sculpteur lorrain Charles Pêtre (1828-1907) et de 73 autres projets au nombre desquels figurent pas moins six prix de Rome. Guilbert propose de représenter Adolphe Thiers debout, en redingote, tenant dans sa main gauche un manuscrit, tandis que de l'autre main il semble prendre le public à témoin de son action. Sur le piédestal est représentée l'allégorie de l'Histoire gravant sur une tablette la date du 1er août 1873, jour du retrait des troupes prussiennes. Présentée au Salon de 1879 sous le numéro 5077, la statue de Thiers est fondue dans le bronze le 14 juin 1879 par les frères Thiébaut, dont un exemplaire supplémentaire est commandé par l'Etat afin de l'installer à Bône. C'est cette dernière statue qui est aujourd'hui installée à Saint-Savin.

La statue de Bône est due à la volonté d'un émigré lorrain, originaire de l'Essonne, Emile Brisset (1831-1878). Né en 1831 à Etampes d'un père entrepreneur des Ponts-et-Chaussées, Aignan Placide Brisset, et d'Anne Isabelle Lambert, Emile Brisset s'installe en Lorraine où il développe une entreprise de peinture. Mais en 1870, avec l'envahissement de l'Alsace et de la Lorraine par la Prusse, il décide de partir et s'installe en Algérie, à Bône (aujourd'hui Annaba). Quelques années plus tard, "justement considéré et estimé", il y est nommé "arbitre de commerce", comme l'indique le Journal Officiel de la République Française en date du 29 août 1874. Dans son testament consécutif à son décès survenu le 12 juin 1878, grand admirateur d'Adolphe Thiers, Brisset lègue 10 000 francs à la commune de Bône pour faire ériger un monument en l'honneur du Grand Homme. La dépense totale s'élevant à 38 683 francs, la différence est supportée par le budget communal, comme l'indique le préfet de Constantine (cf. Inventaire général des richesses d'art de la France, Province, Monuments civils, tome IV, 1911). A l'image de son modèle nancéen, la statue de Bône est dotée d'un piédestal sur lequel prend place un bas-relief en bronze figurant l'allégorie de l'Histoire gravant sur une tablette la date du 1er août 1873. Mais, à la différence de ce monument, ce n'est pas la statue de Thiers, personnage inconnu pour les Bônois, qui fait l'admiration de tous, c'est bien plutôt le socle qui la porte, haut de près de 5 mètres et taillé dans un granit vert réputé provenant d'Herbillon (ou de Takouch). Le monument est inauguré le 5 juillet 1880.

Le monument reste en place de 1880 jusqu'à l'indépendance de l'Algérie, en 1962, date à laquelle la statue est rapatriée en France tandis que le piédestal reste en Algérie. Temporairement déposée à Marseille, ville de naissance de Thiers, elle est transférée à Paris au dépôt des œuvres d'art sous le numéro d'inventaire n° 9446. Là, elle est remarquée par Fernand Chaussebourg (1921-2004), conseiller général du canton de Saint-Savin, qui obtient par arrêté du ministère des affaires culturelles en date du 10 avril 1967 son installation dans cette bourgade de l'Est du département de la Vienne, contre l'avis négatif du maire et des élus de la commune. En effet, dans les années 1960, à l'approche du centenaire de la Commune de Paris, Thiers n'est plus perçu comme celui qui a libéré les territoires mosellan et alsacien, ni comme celui qui a été le premier président de la Troisième République, fonction qu'il occupa de 1871 à 1873. Il est perçu comme celui qui a massacré en 1871 les 25 000 Communards de Paris et il est désormais connu sous le nom de "fusilleur de la Commune".

Propriété de l'Etat, la statue a fait l'objet en 2016 d'un récolement de la part du Fonds national d'art contemporain (Inv. FNAC 298 et 9446).