Archives départementales de la Charente, Angoulême, série O, Confolens, liasse 675
« Ville de Confolens
Projet de marché couvert.
Rapport de l´architecte
Dressé par l´ingénieur des Ponts et chaussées soussigné
À Confolens, le 22 Xbre 1890
[Signé] Wiart.
Ville de Confolens
Projet de marché couvert
Rapport de l´architecte sur les modifications prescrites par le Conseil des bâtiments civils.
Le projet de marché couvert que nous avons préparé pour la ville de Confolens a été, par la demande de M. le ministre de l´intérieur, soumis à l´examen du Conseil des bâtiments civils en ce qui concerne les dispositions techniques.
Mr le rapporteur, après avoir approuvé l´emplacement et la disposition générale de l´édifice a soulevé les nombreuses critiques suivantes :
1e Les colonnes destinées à supporter des fermes d´un poids assez considérable reposent sans aucune attache ni scellement sur un socle en pierre. Ce système de construction n´offre pas une sécurité suffisante ; il est nécessaire de prolonger les points d´appui, au moins dans les angles, jusqu´au sol en les encastrant dans le socle et en leur donnant de larges empâtements.
2e Étant donnée la charge que supporte chaque travée, le tendeur est beaucoup trop faible ; sa section doit être sérieusement augmentée.
3e Le lanterneau est relié au grand comble par des attaches insuffisantes ; il y a lieu de craindre un renversement ou tout au moins une déformation.
4e Les chenaux sont trop étroits, mal reliés à la construction ; si l´eau s´évacue par les colonnes, il y aura lieu de la faire écouler par un tuyau de plomb, afin d´éviter des dégâts considérables tant par les fuites que par les effets de la gelée.
5e Il doit y avoir des omissions dans le devis parce que le prix du mètre carré de la construction ne revient qu´à qq F [sic].
Le Conseil, après avoir entendu son rapporteur, considérant qu´il y avait lieu de compléter le dossier par l´adjonction d´un plan détaillé et d´une façade générale, a renvoyé le dossier à une nouvelle étude, et a prescrit qu´on tienne compte des observations de son rapporteur.
Nous n´avons qu´à nous incliner devant cette décision ; cependant, il nous faut bien examiner les critiques soulevées par notre système de construction pour les faire disparaître.
La première critique, relative à la sécurité de ce système de construction, s´attaque à la façon dont les colonnes reposent sur le sol. Il est évident qu´il est préférable qu´une colonne s´appuie sur un massif de fondation dont la partie supérieure est au niveau du sol ; en effet, si la colonne transmet une pression oblique et non verticale (comme elle doit le faire), le massif de construction se trouve contrebuté par les terres. Mais il est évident que si une colonne reçoit une pression trop oblique, à ce point que sa stabilité soit menacée, ce n´est pas parce qu´un mur sera accolé contre elle qu´elle ne se renversera pas. Quant à l´empâtement du pied de colonne, il suffit pour assurer la sécurité qu´il ne transmette pas une pression unitaire supérieure à celle que peut supporter la pierre de support ; cette condition était d´ailleurs remplie dans le projet primitif. Ce n´est donc ni l´amortissement demandé, ni l´exagération des empâtements, si la ferme est bien construite, qui augmentera la sécurité. La disposition primitive dans laquelle les colonnes, bien que le dessin ne l´indique pas, devaient pénétrer dans le soubassement par une tubulure de 0m10 environ de longueur ne laissait rien craindre au point de vue de la sécurité. Le marché couvert de Cognac présente d´ailleurs une disposition identique et sa stabilité n´a jusqu´aujourd´hui inspiré aucune crainte. À notre avis, le prolongement demandé à l´inconvénient d´augmenter la dépense, que nous avions essayé de réduire au minimum ; il n´augmente nullement la sécurité.
La seconde critique s´attaque au diamètre du tendeur.
Le calcul et l´expérience nous avaient conduits à fixer ce diamètre à 0m035. J´avouerai en effet qu´il ne faut pas dans l´espèce s´en rapporter absolument au calcul ; le calcul ne peut se faire en effet qu´avec l´hypothèse de l´articulation aux différents angles de la ferme ; car notre ferme est rigide et ses angles sont munis d´âmes pleines qui ont une grande influence et empêchent l´écartement dans une proportion que le calcul est impuissant à indiquer.
[schéma en marge]
[corps du texte]
Le calcul que l´on peut faire est le suivant :
Poids de la partie métallique pour une ferme
* Comble inférieur
- ferme 1500 k
- entretoise 600 k
- pannes : 828 k
* Comble supérieur
- ferme 50 k
- pannes 180 k
- sablières 120
- bordures 70
- vitrages 240 k
*Lanterneau
- potelets 40 k
- pannes 126 k
- vitrage 176 k
________
4 150 K
Poids de la couverture
- tasseau 10 k
- valignage 27 k
- zinc 8 k
de la neige et du vent 25 k
________
(par mètre carér) 70 k
Poids total 20 x 108 7 560
_____
11 710 k
La réaction sur chaque colonne est d´environ 6000 k.
La tension de l´entrait est donc 6000 K/tgx = 13 T.
Si on applique la formule de Vöhler pour le travail du fer, on a R (par mq) = 6K/ (1-0,4 (minB/maxB) = 10 K.
Car dans ce cas, le maximum et le minimum de tension sont presque égaux. La section du tendeur doit être de 1300m/mq, soit avoir un diamètre de 0m036.
Ce calcul ne tient pas compte de la rigidité des fermes. Arriverait-on même à une section de 0,045, comme celle que l´on trouve en négligeant la formule de Vöhler, voir [sic] même à celle de 0m05, qu´il y aurait lieu, suivant nous de réduire à 0,035 pour tenir compte de la rigidité de la ferme.
Les dimensions adoptées au marché de Cognac viennent corroborer nos affirmations. Ce marché, dont les dispositions sont les mêmes que celles du projet ci-joint, a 26 m de largeur, ses fermes sont espacées de 5 m, son tendeur à 0,05 de diamètre. Les constructeurs d´ailleurs, consultés sur cette dimension, nous avaient indiqué un diamètre de 0,035 comme suffisant et nous n´avions pas mis en doute l´expérience de ces spécialistes, alors qu´un calcul qui pour être approximatif, n´en est pas moins sûr, et le raisonnement nous avaient conduit à cette dimension.
[en marge, croquis très sommaire de l´attache du comble supérieur sur le comble inférieur, avec cette légende]
(Le Conseil des bâtiments civils d´Angoulême n´a fait aucune objection au projet ci-joint. N´est-ce pas ce conseil qui est chargé de l´approbation, au pt [sic] de vue technique du projet définitif ?).
[corps du texte]
Nous arrivons à la 3e critique, à l´attache du lanterneau. Nous avons compris qu´il s´agissait non de l´attache du lanterneau, mais de celle du comble supérieur. Nous n´avions pas eu la prétention de donner dans notre projet des dessins de détail ; la commune de Confolens nous avait demandé un avant-projet qui lui permit d´obtenir la déclaration d´utilité publique.
Nous croyions avoir dépassé le but ; puisque le présent dossier est considéré comme projet définitif, nous avons l´honneur de fournir le dessin de détail de l´attache du comble supérieur sur le comble inférieur. Le marché de Cognac a des potelets en fonte pour supporter le comble supérieur ; nous estimons que le système que nous avons proposé est aussi sûr et que l´attache que nous proposons vaut bien les 4 boulons de Cognac.
Nous ne nous imaginons guère d´ailleurs un coup de vent qui serait capable d´ouvrir deux cornières (70 x 20 / 8), de chacune 36 m de longueur et de plier 10 fers à T de (125 x 60 / 8). Les pressions attribuées aux grands vents des ouragans pour le calcul des grands ponts métalliques varient de 100 à 150 k par mètre carré. L´effort horizontal maximum applicable du fait du vent au comble supérieur serait de 4 à 5 T. La seule cornière extérieure qui est d´ailleurs reliée directement au vitrage et qui par suite recevrait l´effort d´une façon uniforme sur toute sa longueur résisterait ainsi que ses boulons d´attache à un effort de ce genre sans s´ouvrir et sans rompre ses boulons d´attache. Les nervures intérieures et les équerres latérales viennent encore augmenter la rigidité singulièrement, d´autant que les attaches des deux côtés travaillent simultanément.
[en marge, croquis des attaches du comble avec cette légende]
Le vent dont la résultante agit à 0m50 au-dessus de l´attache peut agir par cisaillement sous l´effort tranchant, par déformation sous l´effet du moment fléchissant.
Les attaches de la cornière suffiraient si elle était seule pour s´opposer à ce cisaillement.
Elle suffirait également si elle était seule pour résister au moment fléchissant. Elle ne s´ouvrirait pas.
Les 2 calculs sont faciles à faire.
Or il est évident que la pièce destinée à s´opposer à la déformation, celle qui joue le plus grand rôle, c´est le T intérieur qui forme nervure et dont la résistance est d´autant plus forte que son diamètre est plus grand et sa section plus forte. Le diamètre influe d´ailleurs peu, car le point où la résultante du vent rencontre les plans des différentes sections normales à la fibre neutre est toujours très éloigné du fer et le point seul essentiel est que le moment d´amortir du fer soit suffisant pour résister au moment fléchissant produit par la composante du vent normal à la section considérée.
Les dispositions primitives ne devaient donc pas faire craindre une déformation. La crainte d´une déformation du fait de l´attache entraînerait d´ailleurs cette autre critique, qui n´a pas été faite et qui n´est pas à faire à notre avis, à savoir que le comble supérieur n´est pas rigide dans son ensemble.
[Corps du texte]
Nous arrivons maintenant à la quatrième critique de détail, à la section et au mode d´attache du chéneau et au mode d´écoulement des eaux.
A notre avis, la section était suffisante, étant donné que nous avions prévu autant de descentes que de colonnes c´est à dire 22 exutoires ; nous ne ferons pas le calcul de ce que pourraient débiter 22 tuyaux de 0,08 ou 0,10 de diamètre sous une charge d´eau de 5m50, car il faudrait supposer que le chéneau (qu´on peut assimiler à un réservoir à cause de ses dimensions) arrive à déborder, pour démontrer son insuffisance. Le débit serait évidemment supérieur à ce que les pluies les plus violentes qu´on pourrait imaginer seraient capables de donner sur la surface couverte ; l´expérience journalière nous indique d´ailleurs qu´avec notre chéneau primitif, 4 descentes sur les longs pans et 2 sur les croupes auraient amplement suffi.
En ce qui concerne l´attache du chéneau, qui reposait tous les 6 m sur le sommet des colonnes, une cornière devait le relier à la semelle supérieure de l´entretoise qui réunit les colonnes au-dessus des vitrages. Cette disposition, pour n´avoir pas été étudiée dans ses détails, était très simple : on pouvait même, à notre avis, se dispenser de cette cornière d´attache.
[en marge, croquis de détail du pied de la colonne].
Quant à l´écoulement des eaux à l´intérieur des colonnes, nous ne concevons guère les dégâts considérables que les fuites ou les gelées sont susceptibles d´occasionner. Nous avons prévu dans notre avant projet, comme faisant suite à la tubulure des colonnes, dans l´épaisseur du mur de soubassement, des tuyaux en fonte ; l´objection n´existe donc pas suivant nous ; mais ces tuyaux n´auraient-ils pas été prévus, que nous ne voyons guère comment la gelée ou la pluie, qui ordinairement ne sont pas concomitantes, pourraient causer des dégâts, si le trou est bien fait, si la maçonnerie en pierre de taille ou en moellons n´est pas gélive et si la maçonnerie ordinaire a été faite en bon temps. Nous avouons cependant qu´il est préférable de placer un tuyau intérieur et nous estimons qu´un tuyau de fonte de gros diamètre (0,10) faisant suite à la tubulure de la colonne vaut mieux qu´un tuyau de plomb de faible diamètre.
Nous arrivons enfin à la critique, qui pour le rapporteur doit avoir été la critique principale, les critiques précédentes n´étant que des critiques de détail et de convenance personnelle. Le projet n´est pas assez cher ; il doit y avoir des omissions dans le devis. Nous avouons qu´il est très difficile de faire exactement un métré d´ouvrage métallique. Nous pensons cependant que notre métré est exact et qu´il ne contient aucun oubli, tout au moins sérieux. Mr le rapporteur aurait pu s´apercevoir que les prix du fer, de la fonte, du zinc étaient faibles et que là était la cause du bon marché de l´ouvrage. Je m´empresse d´ajouter d´ailleurs que les prix admis comme des prix normaux au moment où le projet a été dressé et qu´il n´y aurait eu rien à changer à ses prix, si les cours commerciaux des métaux n´avaient [barré : augmenté] monté.
En définitive, les critiques nous ont paru vagues et légères ; toutefois, puisque notre projet est considéré comme définitif, nous l´avons remanié dans le sens des idées de Mr le rapporteur.
1° Pour assurer la stabilité, nous avons prolongées colonnes jusqu´au sol et nous les avons munies de tubulures qui dégorgeront dans les gargouilles directement. De ce fait, la sécurité sera complète ; les effets de la pluie et de la gelée ne seront plus à craindre ; ces avantages donnent d´ailleurs un supplément de 290 k de fonte par colonne, soit en tout 6 380 k de fonte. Nous fournissons d´ailleurs le dessin de détail du pied de la colonne.
2° Nous prévoyons pour le tendeur un diamètre de 0m050, soit une augmentation de fer de 1008 kilos de fer.
3° Nous donnons le dessin de détail de l´assemblage du pied du comble supérieur sur les fermes principales. En plus des dispositions primitivement prévues, nous avons mis une équerre de chaque côté du pied du comble. Nous pensons que l´attache sera considérée ainsi comme suffisante.
4° Nous avons aussi étudié une nouvelle disposition du chéneau ; le nouveau chéneau élargi repose sur le sommet des colonnes et sur la poutrelle qui les relie par l´intermédiaire d´un fer en U destiné à renforcer l´appui du chéneau et à présenter un champ vertical nécessaire au point de vue architectonique.
5° Le prix du mètre superficiel, après modification des prix qui, malgré cela, sont encore faibles mais que nous estimons suffisants, revient à (58000 F / 864) = 67 F. Nous pensons que notre devis est complet.
6° Conformément au désir du Conseil, nous avons ajouté une élévation longitudinale, une élévation latérale du marché, le plus détaillé que nous avons pu ; cependant, comme il ne s´agit que d´une surface couverte et que nous n´avons pas à étudier l´installation et la répartition des vendeurs, nous n´avons pu donner plus de détails que ceux produits.
En définitive, nous croyons avoir satisfait aux observations du Conseil et nous sommes d´avis qu´il y a lieu de soumettre d´urgence le projet modifié à sa haute et impartiale compétence.
Confolens, le 22 Xbre 1890
[signé] Wiart ».