Sur une demande en date du 29 juin 1869, faite au nom de M. de Moussy, relativement à la reconstruction de l'ancien moulin de Jouhet, sur la Gartempe, un arrêté du 21 juillet 1869 a prescrit l'enquête.
Celle-ci ouverte le 28 juillet 1869 a été close le 17 août suivant.
Le registre ne contient aucune observation. L'avis de M. le maire est favorable à la reconstruction qui intéresse les habitants de Jouhet et des communes voisines. Il en est de même de M. le sous-préfet de l'arrondissement.
Le 15 octobre 1869, après nous être conformé aux prescriptions de la circulaire m[inistéri]elle du 23 8bre 1851, nous nous sommes rendu à Jouhet où en présence de Mr le maire de la commune et du régisseur de la propriété de M. de Moussy, nous avons procédé à la visite des lieux.
Le moulin que se propose de construire le pétitionnaire sera établi sur la rive droite de la Gartempe, à cinquante mètres en amont du passage d'eau de Jouhet. Au-dessus de ce point, plusieurs îlots dus aux vestiges de retenue de l'ancien moulin et aux atterrissements auxquels il a donné naissance, embarrassent le lit de la rivière, qui par suite s'est élargie pour conserver sa section.
A deux kilomètres en amont de Jouhet on rencontre le moulin de Prunier, qui est réglé, et à l'aval duquel se trouve un gué que ne pourra pas influencer la retenue projetée.
La Gartempe est généralement encaissée, ainsi que le montrent le plan général et les profils en travers.
Mr de Moussy est propriétaire des deux rives, au droit du barrage, au-delà il ne possède plus que la rive droite, sur un développement de près de 1500,00m.
Il ne reste aucun des ouvrages régulateurs de l'ancien moulin, en dehors des vestiges de barrage dont il vient d'être parlé, et que le pétitionnaire à l'intention d'utiliser pour le nouveau barrage, suivant la direction indiquée au plan de détails.
Le jour de la visite nous avions l'intention de faire une expérience directe, pour déterminer l'influence du barrage projeté sur le régime des eaux, mais la profondeur et la largeur du lit, rendant cette opération trop difficile, nous avons dû y renoncer. Le pétitionnaire déclare du reste d'en rapporter entièrement aux propositions des ingénieurs ; il se borne à demander la retenue la plus haute possible.
Les seules observations présentées sont relatives à la hauteur d'eau à fixer et à la position du vannage de décharge qu'on voudrait placer sur la rive droite, du même côté que le moulin.
Rien ne s'oppose à ce qu'il soit donné satisfaction au dernier de ces désirs, d'autant plus que c'est du côté de la rive droite que seront les bâtiments occupés par ceux auxquels incombera le soin de la manœuvre des vannes. Quant à la fixation de la hauteur d'eau, elle résultera des calculs que nous établirons dans le chapitre suivant.
Il n'a pas été question de l'action que pourrait avoir la retenue sur la manœuvre du bac qui dessert le passage d'eau ; nous pensons que l'influence exercée sera nulle en raison de la distance de 50 mètres qui séparera le vannage du passage.
Calcul du volume des eaux moyennes. Avant de nous occuper des crues de pleins bords, dont il importe de connaître le volume pour déterminer le débouché des ouvrages régulateurs, nous avons cru devoir considérer les eaux moyennes qui sont celles indiquées sur les profils en long et en travers, levés à une époque où le régime de la rivière s'y rapportait.
Pour chacun des profils en travers, nous avons calculé la surface et le périmètre mouillés moyens ainsi qu'un rayon moyen. Le tableau ci-dessous indique les résultats obtenus ; il donne :
Surface moyenne Ω = 45m96 ; périmètre moyen Χ=47m41 ; rayon moyen R= Ω / Χ = 45,96 / 47,41 = 0,9694, lesquels correspondent à une largeur moyenne de 45m87 déduite également de la comparaison des profils en travers.
N° des profils / surface / Périmètres mouillés
XIII / 43,50 / 51,74
XII / 33,00 / 41,65
XI / 28,00 / 41,40
X / 28,00 / 41,40
IX / 51,00 / 42,55
VIII / 37,00 / 39,11
VII / 31,00 / 47,35
VI / 64,00 / 47,84
V / 62,50 / 47,77
IV / 63,75 / 47,83
III / 72,60 / 54,79
II / 21,75 / 45,97
I / 66,25 / 57,41
& / 47,50 / 51,40
-β / 00,00 / 61,00
γ / 25,25 / 39,32
Moyennes ~= 45,96 / Χ= 47,41
La pente de la surface s'obtient par la comparaison du niveau des points extrêmes ; elle est : I = (10,488-10,112)/(2230+400)=0m000143
Introduisant les valeurs ci-dessus trouvées dans la formule de Prony, on a pour la vitesse moyenne : V=5686√(RI)-0,072=56,86√(0,9694x0,000143)-0,072 et enfin V=0,5989 d'où pour le débit q= ΩV=45,96x0,5989=27,52.
Lors des études faites pour les règlements des barrages du moulin de Prunier et de l'usine de fosse blanche, situés immédiatement au-dessus, on a trouvé pour les volumes respectifs des eaux moyennes : 27,17 et 26,75. Le résultat auquel nous sommes arrivé paraît donc ne point s'écarter de la vérité.
La largeur moyenne étant de 45m37, la surface 45,96, ci-dessus, correspond à une profondeur moyenne de 1m013.
Calcul du débit des crues de pleins bords. La surface des eaux de pleins bords dépendant du relief des terrains riverains, le volume de ces eaux doit nécessairement varier pour chaque retenue, de sorte que les eaux de pleins bords d'un bief d'une usine peuvent être des eaux de débordement des biefs voisins.
Pour le cas qui nous occupe, il y a lieu d'examiner ce qui se passe dans l'intervalle compris entre le moulin de Prunier et le profil n° III, extrémité amont du barrage projeté, lequel s'étendra jusqu'au profil n° I, point où doit être reconstruit le moulin de Jouhet (voir le profil synoptique, pièce n° 10).
Une ligne passant par les points les plus déprimés des rives aux profils XI et V pourrait être considérée comme ayant l'inclinaison des crues coulant à pleins bords sans remous ; on aurait ainsi une pente de surface de 0m00025 par mètre qu'on pourrait admettre pour celle du fond du lit supposé rectifié.
Quant au lit lui-même, qui est très encaissé, sa largeur moyenne serait d'après les profils en travers de 53m17.
La profondeur serait déterminée en menant par un point situé d'égale distance de deux extrémités des biefs soit à 2230/2 = 1115 du profil n° 1 et à 1m013, en contrebas du plan supérieur des eaux moyennes, supposées à ce point à la cote (10,390+10,112)/2 = 10,251, un plan parallèle à celui des eaux de pleins bords. Ce plan serait par conséquent au point précité à la cote 10,251+1,013 = 11,264, et par suite à celles 11,264-(1115 x 0,00025) = 10,985 au moulin de Prunier et 11,264+(1115 x 0,00025) = 11,543 au profil n° I. Il en résulterait que la profondeur de l'eau serait de 10,985 - 7,585 = 11,543 - 8,143 = 3m40.
Ces éléments introduits dans les formules du mouvement uniforme conduiraient à :
omega = 53,17 x 3,40 = 180,78 ; khi = 53,17 + 2 x 3,40 = 59,97
omega/khi=180,79/59,97=3,014m = R ; I = 0,00025m
v=56,86 racine carrée (RI) - 0,072 = 56,86 racine carrée (3,014 x 0,00025) - 0,072 = 1,488
d'où Q = omega v = 180,78 x 1,488 = 269,00 m.
Cube qui ne paraît pas extraordinaire, si l'on rappelle qu'il a été trouvé au barrage de M. de Brette, en amont, 223,75 m ; au barrage de Nalliers, en aval, 409,00 m (à la limite de l'arrondissement) mais ces chiffres correspondent évidemment à des crues extraordinaires, comme celle dont la pente de 0,000849 est indiquée sur le profil synoptique ; nous les laisserons de côté.
Les crues ordinaires qui sont beaucoup moins fortes nous paraissent de préférence devoir appeler notre attention. Pour se rendre compte de leur volume, il suffit d'appliquer à la surface versante du bassin, limitée à Jouhet, le module calculé pour les terrains sur lesquels coulent les eaux dans cette partie du département. la surface étant de 153160 hectares environ er le volume de 50 litres par kilomètre carré de versant, le débit sera de 153160 x 0,05 soit de 77 mètres cubes, près du triple des eaux ordinaires.
Niveau de la retenue. Remous. La retenue doit être déterminée de façon que les eaux ne nuisent point aux terrains riverains ni à l'usine supérieure.
On voit à l'inspection des berges que si cette dernière condition est remplie, la première le sera nécessairement.
Considérons donc l'usine supérieure.
La cote de la partie inférieure de la roue motrice est de 10,022 m.
Celle de l'eau dans son état ordinaire de 10,112 m
d'où une portion d'aubage noyée de 0,090 m
soit environ le 1/7 de la hauteur totale de l'aubage.
Dans cette situation, l'usine supérieure ne peut être influencée par la retenue de l'usine inférieure, pourvu que le remous ne modifie que d'une manière insensible la hauteur de l'eau à l'extrémité du bief.
Supposons au profil III, origine du barrage projeté, un remous de 0,15 m et cherchons à quelle distance ce remous n'est plus que de 0,01 m, c'est-à-dire sans influence appréciable.
Nous prendrons la formule de M. Bresse
(i/H)(s-s1) = (x-x1)-(1-alpha3)[psi(x)-psi(x1)]
dans laquelle on a
i=0,00043 pente de la rivière ; H = 1,013 m hauteur en régime uniforme en eaux ordinaires ; (s-s1) la distance inconnue entre les deux points considérés, pour lesquels les remous respectifs sont 0,05m et 0,01 m ; x=h/H=(0,15+1,013)/1,013 = 1,1480m ; x1=(0,01+1,013)/1,013 = 0,0098 ; psi(x) = 0,5647 ; psi(x1) = -0,6046 : ces fonctions étant données par les tables de M. Bresse.
On obtient ainsi (s-s1) = 2056,40m.
Or le profil III est à 2030 m du moulin de Prunier : le remous expérimenté ne peut donc être nuisible.
La cote de l'eau au profil III étant 10,379 m, nous proposerons 10,23 m = 10,38 m - 0,15 m pour celle de la retenue.
On peut se demander ce qui se passera au moment des crues de pleins bords.
Nous avons indiqué sur le profil synoptique une ligne à la pente de 0,00025 m comme représentant la trace du plan supérieur des crues de pleins bords coulant sans remous. Mais rien ne dit qu'il en sera ainsi, comme nous l'avons fait observer et il y a tout lieu de croire, à en juger par la pente de la crue qui a été repérée d'après les indications données pendant le cours des opérations, que la pente de 0,00025 m est trop faible et que, par conséquent, lorsque les eaux seront sur le point de déborder au PP, XI et VIII, elles seront suffisamment basses au point P. III pour que, même avec le remous assez faible que produira le barrage, ces points ne soient pas noyés avant ceux qui mes précèdent et dont nous venons de parler. D'ailleurs, une crue de cette hauteur ne peut être qu'accidentelle et rentrer dans les cas imprévus, les grandes crues calculées d'après le module étant de beaucoup au-dessus des points bas ci-dessus.
Calcul des ouvrages régulateurs. Eu égard à la hauteur des berges, il n'y a guère lieu de se préoccuper du cube des crues ; nous ne considérerons donc que les eaux ordinaires, et cela dans l'intérêt de l'usine supérieure. toutefois, nous examinerons de quel débit ces ouvrages sont susceptibles en temps de crue, afin de nous rendre compte de la limite de leur action.
1°. Déversoir. Le relief du déversoir pourrait être tel que, toutes les vannes fermées, cet ouvrage laissât passer sur sa crête e volume 27m52 des eaux ordinaires sans qu'il y ait augmentation dans la hauteur de la retenue.
D'après la disposition des lieux, le barrage déversoir comprendra : 1° une partie AB de 60m00 de longueur, présentant une obliquité de 25° avec le courant,
2° une partie BC de 115m00 de longueur, parallèle au courant,
3° une dernière partie CD, normale au courant, dans laquelle seront pratiqués les pertuis des vannages.
Dans les conditions que nous venons d'exposer, la partie AB figurerait seule au calcul du débit ; elle devrait donc fournir 27,52/60,00 soit 0m46 par mètre courant.
La formule d'écoulement à employer est évidemment celle qui convient aux orifices noyés puisque le remous n'est que de 0m15, c'est celle qui suit :
q=mn(p+2/3p)√2g(h+h')
dans laquelle on a pour un mètre courant :
le cube par ml ct q = 0m46 ; le coefficient de contraction m = 0,70 ; le coefficient d'inclinaison n = 0,90 : le remous h = 0,15 ; la vitesse due à la pente de la rivière v2/2g=h'=0,59892/2x9,81 = 0,018.
Ce qui donne : 0,046 = 0,70 x 0,90 (p + 0,10) 1,762
d'où p = 0,314.
La cote de l'eau avec remous étant 10,379-0,150 = 10,229, la crête dy barrage sera à 10,229 + 0,314 = 10,54.
Mais un barrage ainsi réglé ferait perdre à l'usine une partie de la force motrice en étiage. Il est donc préférable, dans l'intérêt du permissionnaire, d'arrêter la crête du vannage à la cote des eaux relevés soit à 10m23 et de faire débiter par le vannage de décharge les 27m52 des eaux ordinaires en réglant le déversoir à la hauteur de la retenue.
C'est cette dernière solution que nous proposons.
2° Vannage de décharge. Ce vannage sera placé dans la partie CD du barrage de prise d'eau qui fait un angle de 45° avec le courant, afin de renvoyer vers le milieu de la rivière les eaux qui s'échapperont des vannes motrice et de décharge ; sa longueur sera de 27,52/3,07 = 9m00 en chiffre rond ; le cube 3m07 représentant le débit d'un mètre courant de vannage.
Le vannage se trouvant au P1, son seuil, si l'on suppose le fond du lit réglé avec une pente de 0m000143 parallèle à celle de l'eau, serait à la cote 10,488-(400 x 0,00143) + 1,013 = 11,444 ; mais en fait, à en juger par le profil synoptique et le profil transversal de la rivière, il sera à 11m90.
Dans le 1er cas, la formule q=m(p+2/3h)√2q(h+h'), dans laquelle h et h' ont les mêmes valeurs qu'au déversoir, mais où le coefficient de contraction m=0,80, donne
q = 0,80 (1,013+0,10)1,762 = 1,57 par mc+.
Dans le second cas, que nous adopterons, le débit deviendrait pour p = 11,90 - 10,38 = 1,52
q = 0,80 (1,52+0,10) 1,762 = 3,28 par mt ct. Mais ce débit doit être modifié à cause de l'inclinaison à 45° qui présente sur le courant la normale au pertuis d'écoulement. Le coefficient de correction étant n = √(1-0,25 sin245°) soit de 0,938, le cube par mètre courant n'est plus que 3,28 x 0,938 = 3,07, d'où pour tout le vannage 9m00 x 3,07 = 27m70.
Débit des crues. Nous avons exposé que nous manquions de données certaines sur le régime des crues de pleins bords ; nous ne sommes donc pas à même d'examiner comment à leur apparition se comporteraient les ouvrages régulateurs.
Cependant, nous pouvons approximativement voir ce que débiteraient ces ouvrages au moment d'une crue donnée, celle de 77m00 calculée précédemment.
Admettons une pente de 0m0002 moyenne entre 0,000143 et 0,00025 et une largeur de 49m00 entre 47,37 et 53,17, quantités que nous connaissons pour les avoir déterminées plus haut.
La pente 1 = 0,0002 et la largeur l=49,00 correspondent à une profondeur de régime uniforme de 1m68, dépassant de 0m67 celle des eaux ordinaires, ce qui, en tenant compte du remous, mettrait au moment de cette crue, la surface de l'eau à 1m10 environ au-dessous du point le plus bas du P IV.
La formule de Prony donnant pour cette crue une vitesse de 0m935, engendrée par une charge de 0m044, les équations qui servent à calculer le débit nous indique qu'il suffirait d'un remous de 0m116 pour débiter 77m00, et ce, en ne tenant compte que du déversoir.
On tire en effet de
77,00=49,00 hv et v=56,86√[49,00h/49,00+2h)x0,0002]
h=1,68 et v = 0,935
et de
77,00 = 0,70 x 0,90 x 60,00 [(0,25+0,67)+2/3h]√[2g(h+0,044)+0,80 x 3,30 [(1,52 + 0,67) + 2/3h] √[2g(h+0,044)]
h=0m116.
Nous ne considérerons pas de crue supérieure à celle que nous venons d'étudier, les explications qui ont été données plus haut nous en dispensent.
Questions diverses. les vestiges du barrage de l'ancien moulin, vestiges que le permissionnaire doit utiliser pour la construction de la nouvelle prise d'eau, devront être débarrassés des plantes, arbustes etc. dont ils sont actuellement couverts, afin de ne pas donner lieu à des obstacles nuisibles à l'écoulement des eaux. Ils formeront, dans l'intervalle compris entre l'extrémité aval du déversoir et le vannage de décharge, une digue longitudinale servant de bajoyer gauche au canal d'amenée des eaux à l'usine.
Le relief de cette digue ne devra pas être de plus de 0m50 au-dessus du niveau de la retenue.
Les considérations qui précèdent ont servi à préparer le projet de règlement ci-joint, que nous proposons de soumettre à l'enquête de 15 jours prescrite par la circulaire ministérielle du 23 octobre 1851.
Poitiers, le 30 juin 1870
Le conducteur faisant fonction d'ingénieur ordinaire J. Lecomte.
Vu par l'ingénieur en chef soussigné pour être soumis, avec le projet de règlement, à l'enquête de 15 jours, dont les formules sont ci-joint préparées. Poitiers, le 1er juillet 1870. G. Ferrand."